La bête noire
À l’évidence, Le Clan des Bêtes est un aboutissement pour son réalisateur. Le cinéaste britannique Christopher Andrews a en effet parachevé un sujet qu’il mûrissait depuis ses débuts au tournant des années 2010. Son premier long-métrage traite ainsi à grande échelle les thématiques au cœur de ses précédents courts-métrages (Together Again, Fire et Stalker) : la nature sauvage, l’altérité, la vengeance et surtout la violence, la façon dont elle peut façonner, puis aliéner un individu, et se transmettre de père en fils telle une tare génétique.
Non sans rappeler le puissant As Bestas de Rodrigo Sorogoyen sorti en 2022, Le Clan des Bêtes déroule un récit particulièrement âpre où s’entrecroisent des personnages austères et ambivalents qui cumulent les frustrations et les non-dits. Cette stoïcité et cet isolement sont accentués par la quasi-absence de musique (juste quelques percussions dans les moments de tension), les grands paysages dépeuplés d’Ireland, le silence et les cris des bêtes agonisantes.

De fait, les hommes ne se parlent pas, ou à peine, et réprouvent leurs sentiments, en particulier la culpabilité, jusqu’à commettre l’irréparable. Là-dessus, la scène d’ouverture glaçante sert de note d’intention avec son conducteur mutique laissé hors champ, son accélération irresponsable, les supplications de ses deux agères et l’inévitable sortie de route. Plus globalement, toutes les tragédies qui surviennent sont le fruit d’une absence de communication et d’un dialogue rompu (la mort de la mère de Michael, le age forcé du portail et le vol de bétail).
Ainsi, Barry Keoghan et Christopher Abbott bouffent l’écran sans même avoir à prononcer le moindre mot. Ils donnent chacun trois couches d’épaisseur à leur personnage, qu’ils incarnent tout en retenue, en équilibre entre le malaise et le mal-être. C’est tout particulièrement le cas de Barry Keoghan qui grommèle comme un adolescent, a les traits tirés et le regard fuyant, fait des gestes peu assurés et semble toujours tiraillé entre deux émotions contraires qu’il faut de toute façon intérioriser.

A history of violence
Le Clan des Bêtes s’articule essentiellement autour de deux points de vue, celui de Jack et celui de Michael. S’ils s’opposent tout au long du film, les deux se sont construits tant bien que mal sous le poids écrasant de leur figure paternelle, sans autre modèle ni réelle perspective de changement. Même le rêve est phagocyté, comme le reflète la triste discussion entre Jack et son père sur l’endroit où ils voudraient vivre.
L’acteur Colm Meaney excelle d’ailleurs au jeu du vieux mâle émotionnellement constipé. Si sa grossièreté se remarque autant qu’un éléphant au milieu d’un troupeau de moutons, l’emprise évidente qu’il a sur son fils s’illustre de façon plus pernicieuse, presque perverse. Dans la première scène qu’ils partagent, le patriarche lui ordonne par exemple de vider sa bouteille d’urine pendant qu’il mange.

Pour autant, le cinéaste ne juge pas ses protagonistes, il ne colle aucune étiquette sur leur front et refuse de les enfermer dans les cases du gentil et du méchant. Tout le monde est fautif avec une part d’innocence. Quant aux deux femmes, elles représentent les deux faces d’une même pièce : la victime et la survivante, aucune n’ayant trouvé sa place dans ce monde d’homme.
Mais les hommes ne sont pas les seuls à entretenir cette violence et cette masculinité toxique. Aussi meurtrie soit-elle, Caroline (Nora-Jane Noone) frappe par exemple son mari à défaut de réussir à communiquer avec lui, et refuse que son fils voie son père pleurer, comme s’il s’agissait d’une faute, d’un grave défaut de virilité.

Le scénario ne propose pas de solution miracle et la fin sonne comme une autre défaite pour Michael après le coup de sang qui a coûté la vie à sa mère. Symboliquement, celui qui a du sang sur les mains se tient sur le pas de la porte et y laisse une trace de sang avant de s’enfoncer à l’intérieur. La violence a repris place au sein du foyer, mais c’est désormais Michael qui en est le garant.
Avec subtilité, le film pointe donc du doigt les mécaniques de la violence et des rapports de domination, mais aussi l’engrenage de la vengeance. C’est tout l’héritage d’une masculinité malsaine et étouffante qui se dessine à travers cette histoire vengeresse dans laquelle le berger devient symboliquement le chasseur. Et pas question d’y injecter le moindre héroïsme ou une once de spectacle. Leur confrontation finale est chaotique et mal assurée, voire parfaitement risible, renforçant le caractère pathétique et désespéré de cette œuvre captivante.

Si on doit comparer avec As Bestas, je trouve celui-ci meilleur. Après je suis amoureux de ce film.
Ce qui n’empêche pas Le Clan des Bêtes d’être réussi. J’ai beaucoup aimé ma séance.
La majorité des critiques s’accordent à dire que c’est moins bien que « As bestas « .
Je me ferai certainement une double séance un jour pour en juger.