Films

Retro : critique du Mortal Kombat qu’on mérite

Par Clément Costa
6 mai 2025

Deux ans après son chef-d’œuvre Jigarthanda Double X, le cinéaste tamoul désillusion totale qu’a été Kanguva. Tient-on enfin la grande réussite de Kollywood pour ce début d’année 2025 ? En salles depuis le 1er mai.

GET OVER HERE

En 13 ans de carrière, Karthik Subbaraj s’est imposé bien au-delà des frontières du cinéma tamoul comme un des réalisateurs contemporains les plus ionnants à suivre. Son cinéma est unique, reconnaissable entre mille et pourtant en quête constante de réinvention. Pour son neuvième long-métrage, le cinéaste nous propose avec Retro un mélange des genres qui tente de réunir arts martiaux, film de gangsters, romance et récit politique. Un projet ambitieux qui marque également sa toute première collaboration avec l’acteur Suriya, qui livre au age une des performances les plus remarquables de sa carrière.

Une des caractéristiques les plus évidentes du cinéma de Karthik Subbaraj, c’est sa dimension métatextuelle et décalée qui en fait un des héritiers les plus brillants de Quentin Tarantino. Sans surprise, Retro ne fait pas exception à la règle. Subbaraj multiplie les références aux grands classiques du cinéma tamoul, à sa propre filmographie ainsi qu’à celle de son acteur principal. Mais le cinéaste ne se limite pas uniquement aux cinéphilies locales.

Retro Suriya
Quand tu choisis ta Fatality

On trouve dans Retro des emprunts assumés à Repo Man et Mad Max, de nombreux clins d’œil à Mortal Kombat ou encore un hommage très appuyé à Bruce Lee. L’idée n’est cependant pas d’enchaîner les références de façon superficielle pour créer une abomination de pop culture complaisante façon Space Jam : Nouvelle Ère. Comme chez Tarantino, le cinéma de Subbaraj est guidé par un amour profond de ses références. Les personnages de Retro sont des archétypes de cinéma qui ont conscience d’être enfermés dans un cadre trop limité et font tout pour s’en émanciper.

-D’autant que Karthik Subbaraj propose bien plus qu’une simple couche d’humour méta. Toujours en quête d’expérimentations et d’excellence technique, le réalisateur tamoul livre un objet hybride saisissant. Cela se traduit par un mélange électrique entre prise de vues réelles et animation avant d’introduire le héros. Ou encore par le biais d’un plan séquence vertigineux de 15 minutes qui traverse des chorégraphies différentes, des dialogues dramatiques et un combat à couper le souffle. Plus que jamais, Subbaraj s’impose comme un virtuose de la mise en scène.

Retro critique
Le plan séquence de l’année

HA HA LAND

Si sa maîtrise technique n’est plus à prouver depuis bien longtemps, Karthik Subbaraj se voit parfois reprocher une écriture trop dense qui aurait tendance à s’éparpiller. Retro repousse cette notion de chaos presque organisé à son paroxysme. Dans une même séquence, on e du rire aux larmes, de la douceur à la violence et du grand cinéma noble au film bis déviant. Tout y est. Un sentiment de trop-plein qui s’avère à la fois enthousiasmant et épuisant.

En livrant son film le plus expérimental depuis Mercury, film d’horreur interprété presque entièrement en langue des signes, Subbaraj n’hésite pas à frôler la sortie de piste. Il livre ainsi un deuxième acte qui va radicalement diviser les spectateurs. Si le cinéaste est réputé pour ses twists ravageurs, il décide cette fois-ci de changer littéralement de film en cours de route. Décors, costumes, enjeux narratifs et style de mise en scène sont totalement bouleversés en milieu de parcours. Même le héros se voit transformé physiquement.

Retro Suriya Subbaraj
Vous ez par la case prison et vous changez de film

On pourra tout de même adresser un reproche évident à Retro, l’inconstance de son écriture. Avec sa galerie infinie de personnages secondaires, d’arcs narratifs et d’expérimentations, le long-métrage oscille entre idées de génie et chaos total. En quelque sorte, Subbaraj a les défauts de ses qualités. La générosité absurde de son cinéma vient parfois le piéger et peut égarer son spectateur.

En résulte un rythme inégal. Difficile de nous tenir en haleine durant près de trois heures sans qu’il n’y ait la moindre baisse de régime. Peut-être que le film aurait gagné en efficacité s’il avait coupé au montage certains de ses concepts fous. Entre un gangster amoureux en quête de paix, un docteur qui pratique la thérapie par le rire, une secte organisant des combats de gladiateurs ou encore un antagoniste au bras bionique, c’est déjà un petit miracle que le scénario finisse par former un tout cohérent.

Retro critique Suriya
Une petite pause avant les tempêtes

THE KILLING JOKE

Au cœur de ce récit chaotique et déjanté, Retro nous dévoile cependant une très grande œuvre politique et épique. Après avoir dézingué l’extrême-droite hindoue dans Petta, dynamité les fascistes anglais dans Jagame Thandhiram et défendu les droits des tribus dans Jigarthanda Double X, Karthik Subbaraj propose à nouveau une réflexion militante jubilatoire sur les classes sociales et le rêve d’une révolution prolétaire. Difficile de faire plus explicite qu’en filmant une esclave libérée prise d’un fou rire incontrôlable alors qu’elle tient en joue ses anciens maîtres.

Retro s’intéresse également au post-colonialisme. Le film n’hésite pas à remonter le temps pour raconter la ation de pouvoir entre les colons britanniques et la royauté indienne. Les tyrans ont changé de visage, de couleur de peau mais ils conservent la même brutalité. Ça n’est d’ailleurs pas anodin de voir Nassar, un des antagonistes inoubliables de la saga Baahubali, cabotiner en anglais tout le long du récit. Comme s’il ne voulait pas s’abaisser à employer la langue du peuple.

Critique Retro Suriya
Tu étais l’Élu, camarade

Afin d’orchestrer sa révolution, Subbaraj va puiser dans les grands mythes. Les écrits hindous sont évidemment cités. Enfant, le héros est épargné lors d’une attaque armée alors qu’il est déguisé en Krishna. Il tombera plus tard amoureux de Rukmini, prénom porté par l’épouse de Krishna dans le Mahabharata. La trajectoire du héros sera d’ailleurs une lutte entre hindouisme et bouddhisme. Doit-il faire la guerre pour obtenir la paix comme Krishna, devenir un Bouddha rieur prêt à tout subir ou bien être ce démon combattant dans lequel il s’est si longtemps épanoui ? L’écriture d’une densité incroyable est remplie de symboles et de niveaux de lecture.

Le dernier grand mythe que Retro vient réinterpréter est celui de l’Élu. Quelque part entre la prophétie de Matrix et l’élévation divine d’un Baahubali, le film offre à son protagoniste un destin flamboyant. Mais là encore, l’Élu prend une dimension politique. Son destin individuel est écrit pour le bien collectif. Pas question de remplacer les rois par un dieu. Le héros de Subbaraj est censé détruire les traditions pour mieux émanciper le peuple. En tout début de film, alors qu’il n’est encore qu’un enfant, il annonce la couleur en transgressant les rites patriarcaux au bord du Gange. À l’issue du récit, lors d’un final somptueux, il semble presque s’effacer dans la forêt pour transmettre sa force aux opprimés.

Retro poster
Rédacteurs :
Résumé

Chaotique, parfois bancal mais terriblement généreux, Retro est sans le moindre doute un des films les plus radicaux de son auteur. Mais c’est surtout un long-métrage ambitieux, d’une richesse folle et qui bénéficie d’une mise en scène virtuose. Encore une preuve évidente que Karthik Subbaraj fait partie des très grands noms du cinéma contemporain.

Vous aimerez aussi
Commentaires
Veuillez vous connecter pour commenter
2 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
t800
t800
il y a 29 jours

Bonjour
Est-il disponible en VOD?
Merci