Born again ?
Soyons honnêtes : parmi les nombreux projets annoncés d’une Phase 5 chaotique, personne ne misait un kopeck sur Thunderbolts*. Au-delà de ses nombreux remaniements en matière d’écriture et de production, le “Suicide Squad” à la sauce Marvel réalisé par Jake Schreier semblait condamné par la stratégie de Kevin Feige ces dernières années. Comment rendre intéressant un groupe composé des fonds de tiroir de la franchise, et dont une majorité a été introduite dans des séries Disney+ ?
Face au succès gargantuesque des derniers Avengers et l’arrivée du streaming pour prolonger la saga, Feige et ses producteurs ont supposé que leur public resterait captif, et accepterait de faire encore et toujours ses devoirs pour être à jour sur le spin-off du garde du méchant aperçu dans l’arrière-plan de Thor 34.
The Marvels a sans doute le plus souffert de cette démarche par le largage forcé de Miss Marvel et Monica Rambeau, et la réception critique et publique a été l’une des plus catastrophiques du studio. Pour être clair, le rythme quelque peu bâtard de Thunderbolts* laisse suggérer que Marvel a revu sa copie, quitte à épurer le film de certains ifs entre personnages.
D’un côté, on pourra reprocher à Ghost (mais si, vous savez, la méchante d’Ant-Man 2) de rester une figurante de luxe, ou à John Walker (le Captain America Wish) de revenir à peine sur sa rivalité avec Bucky Barnes esquissée dans Falcon et le Soldat de l’hiver. De l’autre, le film a la bonne idée de faire de Yelena Belova la véritable protagoniste et la force motrice du récit, qui doit beaucoup au magnétisme et au charisme de Florence Pugh.
Non sans ironie, la nouvelle Black Widow – qui pleure encore la mort de sa sœur Natasha – a plus de place pour exister et se caractériser en un film que son modèle sur l’espace d’une saga entière. Cela est sans doute à mettre au crédit de la bonhomie de Florence Pugh, qui incarne à merveille cette agente en quête de rédemption, désabusée mais foncièrement sympathique.

Marvel broie du noir
La force de Thunderbolts* tient à cette nature dépressive portée par son héroïne, qui permet à Jake Schreier et ses scénaristes Eric Pearson (Black Widow, Transformers : Le Commencement) et Joanna Calo (BoJack Horseman, The Bear) de traiter ouvertement de santé mentale par le prisme de ses losers magnifiques. Réduits à être l’ombre de leurs symboles respectifs, ils en viennent à réveiller une noirceur littérale, celle de Bob/Sentry (Lewis Pullman, l’autre point fort du casting), métaphore filée et assumée du film.
L’idée manque de finesse, mais elle a le mérite d’être là, au cœur d’une des plus grosses franchises du monde, qui accepte enfin une évolution naturelle. En voyant Thunderbolts*, les carences de Marvel depuis Endgame semblent plus que jamais évidentes. Le problème n’est peut-être pas tant son Multivers foutraque que son éternelle béatitude. Comment recréer des figures positives comme Captain America quand le fonctionnement même de la franchise impose des cycles répétés de menaces, et peu de résolutions de problèmes ?

En plus de 15 ans de MCU, le public ne peut plus voir les super-héros comme de simples sauveurs altruistes, surtout lorsque certaines propositions (Logan, The Boys…) n’ont cessé de rappeler l’humanité, et donc l’imperfection, de ces êtres surpuissants. Tous les genres cinématographiques créent leurs mythes, avant qu’ils ne soient déconstruits par le temps, ce que Marvel a souvent fui par une stagnation thématique assez embarrassante.
D’Iron Man 2 à Captain America : Civil War, les implications de l’interventionnisme des Avengers ont été planquées sous le tapis. Le MCU n’a jamais été capable de tacler concrètement cette liberté d’action absolue ou la supervision potentielle d’un gouvernement avec son propre agenda, y compris avec le récent Captain America : Brave New World.

Thunderbolts* ne donne pas un grand coup de pied dans la fourmilière, mais on lui reconnaîtra qu’il avance dans la bonne direction en jouant sur le vide laissé par les Avengers, vide que la société cherche absolument à combler. Tandis que Bucky (Sebastian Stan, qu’on aurait aimé plus présent) fait face à l’impuissance de la bureaucratie américaine, Valentina Allegra de Fontaine (Julia Louis-Dreyfus, toujours aussi géniale dans le rôle) veut devenir la nouvelle Nick Fury malgré les actes répréhensibles de sa multinationale.
Personne n’est dupe, à commencer par les héros cyniques du film, dont le mal-être influe sur leurs choix et leurs actions discutables. D’aucuns reprocheront sans doute la disparition de la naïveté habituelle de la franchise, et pourtant, c’est bien ce qui rend le film rafraîchissant. Au travers de cette noirceur stagnante que Yelena enfouit, Jake Schreier construit son scénario sur le retour progressif de la sincérité par la libération des sentiments de chacun.

Une phase enfin en phase
Étonnamment, cette approche symbolise le meilleur retour aux sources possible, alors que les egos et les désirs de tout le monde se confrontent au sauvetage concret d’une population urbaine mise en péril. L’air de rien, on n’avait pas vu ça depuis L’Ère d’Ultron en 2015, signe d’une rupture dans des assemblages et des oppositions d’équipes toujours plus stériles et dévitalisées par les enjeux cosmiques de la franchise.
Le plus beau compliment qu’on puisse faire à Thunderbolts*, c’est finalement de nous rappeler pourquoi on a aimé Marvel par le é. Les grosses séquences d’action en CGI, bien que spectaculaires et obligatoires, ont souvent été mineures par rapport au développement intime de ses super-héros et leurs moments de convivialité en plein crossover. Cette leçon, Jake Schreier l’a retenue, en diminuant d’ailleurs la quantité de pyrotechnie au profit d’un vrai film de troupe, qui trouve sa pleine mesure dans un climax étonnant, probablement l’un des meilleurs de la saga depuis très longtemps.

En l’état, le résultat final est sans nul doute ce qu’on pouvait espérer de mieux au vu des circonstances de sa production. Si le marketing de Marvel a clairement abusé en voulant faire de Thunderbolts* son “film indé A24” grâce à ses chefs de poste prestigieux (le directeur photo de The Green Knight, le monteur de Minari, Son Lux à la musique…), il faut reconnaître que son esthétique est bien plus soignée que la moyenne de la firme, au point même de redonner une valeur et un cachet au look grisâtre et bétonné de nombreuses productions super-héroïques.
Dans le contexte actuel de la création taylorisée de blockbusters, peut-être que Thunderbolts* pousse à niveler vers le bas, et à l’aimer plus que de raison. C’est en partie vrai, mais ce serait occulter la petite surprise qui s’offre à nous, alors que l’ensemble aurait pu se transformer en énième créature de Frankenstein aux coutures saillantes. Et au final, qu’importe ses coulisses : c’est bien son cœur qui bat qui le distingue, et qui donne la sensation de voir Marvel aller de l’avant avant sa Phase 6 et Avengers 5.

Deux astérisques/rix le même jour..?
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Alors qu’on soit bien clair : toute cette histoire repose sur des roublardises.
Dans les comics, c’est ce que sont les Thunderbolts, équipe providentielle, profitant de la longue absence des Vengeurs et autres héros propres sur eux. Et qui cache en fait un groupe de vilains gagnant la confiance des gens pour mieux conquérir le monde – jusqu’à ce que…
Et c’est aussi ce qu’est Sentry, présenté comme une création comics oubliée de Stan Lee. Alors qu’il s’agit en vérité d’une invention rétroactive, lorgnant sur le troublant Miracle Man de Alan Moore – jusqu’à ce que…
Bref, des coups médiatiques, dans lesquels les lecteurs sont tombés à bras ouverts à l’époque. Et c’est un indice sur la teneur principale de ce 36e film du MCU…
Oui 36, plus sur les séries, c’est beaucoup et c’est donc matière à se moquer encore une fois des trop nombreux super-héros (fondamentalement) bordéliques de Stan Lee et de ses héritiers spirituels. Et Marvel Studios n’en a rien à foutre, la lassitude ça ne concerne que les plus vieux spectateurs… en attendant, ils continuent de produire leurs aventures. Comme dans les comics, on ne s’arrête jamais…
Mais tout de même, peuvent-ils complètement ignorer cette partie du public qui n’a cessé de râler à chaque adaptation de personnages, forcément différents quand ils sont mis en scène à une autre époque (on n’est plus dans les années 60, il y a moins de ségrégation silencieuse) ? Évidemment crispants quand leurs traits de caractère communs sont l’humour adolescent sarcastique ?
Le début de ce film semble en avoir sacrément conscience, entre un logo Marvel sans héros, dont la fanfare est étouffée avant de er au noir… ce qui n’est pas seulement une référence au méchant Void.
Ou bien Yelena Belova qui commente avec ironie une scène de combat, aux actes vu et revu mille fois…
Ainsi que des protagonistes qui sont des oubliés du MCU, de grands perdants tirés de productions pas énormément appréciées.
Cynisme et gueule de bois ?
Marvel Studios fait dans l’auto-dépréciation ?..
Ça serait donner entièrement raison à ceux (qui communiquent le plus fort) affirmant que l’après « Avengers : Endgame » n’est pas bon, et autres expressions ordurrières.
Ce qui, en mettant de côté les contre-performances au box office, devrait rester très relatif.
Surtout quand l’avant « … Endgame » (donc avant Pandémie) était déjà régulièrement critiqué, que les analyses de films sont de moins en moins maîtrisées elles aussi, et que le terme « super-héros fatigue » occulte les échecs réels de gros films qui ne sont Pas liés à Disney, et ne sont Pas des adaptations de comics Marvel, ou même de DC…
Peut-être que le film de Jake Schreier, réalisateur habitué aux âmes en peine, nous parle de l’état intégral du paysage des blockbusters américains, tout simplement. Où tous les bons personnages ont eu leur heure de gloire, toutes les bonnes histoires ont été faites, et il ne reste plus qu’à er le relais à de nouveaux personnages/acteurs, qui ne vont pas forcément plaire à tout le monde…
Pour mieux refaire les mêmes choses, de la même manière, avec les mêmes limites (on est loin d’un Suicide Squad marvelien, il n’y a pas énormément de violence, Valentina Allegra De Fontaine n’est pas comme Amanda Waller, même si « Mel » est moins une référence à l’héroïne Songbird qu’à la Flo Crawley du Squad)…
Un exemple de ce système de production : Yelena Belova se jette dans le vide (et Florence Pugh itou) ? La séquence sera ensuite montée, on verra à peine l’actrice – quoi, Tom Cruise a privatisé ces scènes de cascades avec de vrais acteurs ?
Le premier tiers du film se e dans un bunker, où une partie des protagonistes est coincée, leur permettant de faire connaissance avant de pouvoir s’échapper ? La séquence se tapera aussi un montage parallèle avec un pince-fesse entre politicards, alors qu’il y avait matière à faire un vrai huis clos étouffant, un « Breakfast Club » entre freaks, doublé d’un film d’évasion, où on prendrait le temps de s’attacher à ces êtres indésirables, obligés de s’unir… sans qu’on soit obligé de er ponctuellement une tête dehors pour voir ce qui s’y e…
Cette manière d’utiliser le montage alterné pour garder les spectateurs éveillés, est-ce la faute de ces derniers ou bien de ceux qui ne tentent pas de leur proposer d’autres types de narration ? Disons que les torts sont partagés.
En attendant il y a toujours cette alternance entre Premier et Second Degré, des ruptures de ton, sauf dans les moments cruciaux où les personnages sont plus sérieux (la Palme revenant toujours au Red Guardian, le Papa poule/Falstaff de service)… Et un peu de Méta lié aux acteurs, que ce soit Florence Pugh et son « Don’t Worry Darling » (le bâtiment mystérieux en haut d’un chemin de montagne en colimaçon, le délire mental final), un Sebastian Stan post jeune Trump (aux déclarations politiques vides), une Julia Louis-Dreyfus post « Veep »… en fait on a un casting, très bon comme toujours, qui semble associé aux histoires à base de supercheries, de tableaux trop beaux pour être vrais…
Certes l’histoire nous est présentée comme traitant de Santé Mentale, notamment dans le lien qui se crée entre Yelena et Bob. Et c’est plutôt bien vu pour toucher les gens, pour donner l’impression d’être plus impliqué, avec de jolis moments tire-larmes vers la fin… Sauf que, mine de rien, ça a déjà été fait dans le MCU.
Le fait que les héros se demandent comment continuer avec leurs erreurs et leurs deuils, avec la peur de mourir, Marvel Studios s’y est déjà attaqué régulièrement. L’arc narratif de Sentry, pas du tout Méta pour le coup (même si c’est un énième Superman instable, on n’en fera pas un héros disparu des mémoires), c’est quasiment le même que celui d’un Hulk… du moins celui de Ang Lee, tellement traité à fond que plus personne n’a voulu s’y frotter…
Ça nous est vendu comme un Marvel moins pudique que les précédents, mais ça ne change pas tant que ça – les scènes d’action sont efficaces, quelques idées esthétiques pas mal (Void n’est rien d’autre qu’une idée noire à la Franquin), l’équipe est disfonctionnelle comme il faut, les filles sont plus malignes que les garçons, les pièces rapportées ne servent à rien, les absents sont snobés (Melina Vostokoff ? les héros de New-York ?), le développement de personnages est réduit à une poignée d’individus – comme ils sont beaucoup plus que dans « Black Widow » (qui avait un meilleur équilibre), on n’a pas le temps d’y traiter de la culpabilité de Ava Starr, ou de la rivalité idéologique qu’on pourrait avoir entre les super soldats américains et russes…
Et en plus le bodycount est très léger, trompeur (étrange prédilection pour les meurtres de petites filles)… comme si tout ça n’avait pas de conséquences tant que Fatalis n’a pas débarqué pour tout détruire…
Bref, le vrai sujet, c’est l’image publique, ce qui est un des rares éléments faisant partie des Thunderbolts originaux des comics (y compris ceux écrits plus tard par Warren Ellis) : Comment on peut faire croire en l’espoir, à un renouveau, en contrôlant la narration, quitte à se la jouer sophistiqué (désolé pour ceux qui ont pris au sérieux la bande-annonce dans le style A24 !)… même si cette bonne réputation sera sûrement éphémère.
Et comment on accepte ce mensonge, juste parce que ça fait du bien au moral, parce que ça permet de mieux er les déceptions qu’on a jadis vécu.
Ce qui clôt de façon cohérente les Phases IV et V du MCU, qui n’ont fait que parler de deuils et de dépression pendant 4 ans (quoi, vous ne l’aviez pas encore compris ?)…
Et où on peut imaginer que Valentina représente Kevin Feige, ou la productrice Victoria Alonso avant son départ : ces grands ordonnateurs, toujours sur la sellette, ils savent que tout ça reste un tantinet bancal. Mais jamais ils ne l’avoueront, tant qu’il reste encore des gens contents de er un bon moment.
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Tonnerre de boules ! ⚡
Vu hier, et bon kiff, c’est imparfait mais comme le dit la critique le film a du cœur et a quelque chose a dire, pas toujours de manière subtil mais le vrai sujet du film est étonnant pour un Marvel (et je suis un défenseur des films, sauf pour 2 ou 3 qui sont vraiment bas de gamme). Je ne vais pas spoiler mais il y a de belles idées sur le thème central du film et comment raccrocher les wagons (trauma de ghost : déjà traité dans ant-man 2 donc personnage le moins mis en avant mais ses actes reste important dans le groupe / trauma de Walker : court mais efficace / trauma de red guardian : en faire le comique de service pour lui donner une scène vraiment touchante qui le fait er de lourd a attachant / Trauma de Yelena : pas uniquement la mort de sa sœur, cœur du film, et hâte de la revoir tout comme j’avait hâte après la série Hawkeye / trauma de bucky : sa thérapie é lui fait avoir un rôle hors du thème mais c’est une belle récompense pour un acteur et un personnage qui le mérite).
Et il y a Sentry/void…belle perf de Lewis Pullman, sans cabotinage, sans excès, avec l’innocence et la puissance qui vont bien.
Je comprend que l’on dise « enfin un retour a taille humaine », ou « encore New-York » mais c’est un peu oublié le matériau de base, les comics.