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Le Trou Noir : le plus gros des nanars de l’espace vient-il de Disney ?

Par Mathieu Jaborska
1 mai 2020
MAJ : 21 mai 2024
Le Trou noir : photo, Anthony Perkins

Dans le catalogue des classiques Disney+, un petit objet au titre intrigant semble faire tâche. En réalité, il fait tâche dans la filmographie de la firme.

Alors que Disney dévore tranquillement l’industrie hollywoodienne et que les longs-métrages marqués – ou non – du célèbre logo se multiplient dans les multiplexes, il n’est pas inutile de revenir sur le if du groupe concernant les films en prises de vue réelles. Paradoxalement, il a toujours été productif dans ce domaine, et ce depuis L'Île au trésor en 1950.

Avant Le Trou noirœuvre à part, du moins pour ceux qui ont eu la chance de s’y plonger.

 

photoAvant et après visionnage

 

DES TEMPS DIFFICILES

Disney n'a donc jamais voulu se contenter du cinéma d’animation, une diversité qui a forcément joué un rôle dans l’acquisition d’un tel monopole sur le divertissement, et ce à tous les niveaux. En effet, la marque a su construire sa notoriété sur des œuvres très installées dans l’imaginaire collectif. C’est par exemple le cas de Anthony Perkins aurait dit à son propos dans un entretien "C'est un truc à la Capitaine Nemo dans l'espace."

Après la mort de Walt Disney, fondateur du studio, en 1966, il a donc fallu continuer sans la vision certes prompte à piquer les idées des autres mais néanmoins novatrice de l’homme de divertissement le plus apprécié des États-Unis. La tâche ne fut pas aisée. Roy Olivier Disney reprend vaguement les rênes de l’entreprise, mais manque de véritable cap. C’est à partir de cette époque que Disney ne parvient plus vraiment à forger ses propres classiques et se contente d’essayer de reproduire des succès déjà acquis.

Avant les années 1980 et après la mort de Roy Oliver Disney en 1971, Card Walker persiste dans la voie de son mentor et chapeaute des projets bien encrés dans la ligne éditoriale de la firme : Un Petit indien, Mes Amis les ours ou Le chat qui vient de l’espace font partie des nombreux titres proposés, dans un monde où Steven Spielberg sont en train de concevoir le blockbuster à l’américaine.

En 1978, sept productions Disney en live action sortent, la même année que Star Wars. Un renouveau est définitivement nécessaire, et cela era par le premier film classé PG (c’est à dire non tout public) de la firme, un petit événement.

 

photo, James Mason, Paul Lukas20.000 Lieues sous les mers, personne ne vous entend crier

 

SPACE JAM

Vu la date de sortie (décembre 1979 aux Etats-Unis), il serait logique de penser que Le Trou noir est une réaction directe à Star Wars, un clone friqué cherchant à surfer sur le succès de R2D2 et C3PO. Néanmoins, s’il est évident que la promotion du film a misé sur l’effet space opera, sa genèse n’a pas grand-chose à voir avec la saga de George Lucas.

La mise en chantier du projet aurait plutôt été motivée par la recrudescence des films catastrophes tels que L'Aventure du Poséïdon. Ce dernier, sorti en 1972, a su convaincre les spectateurs américains qui ont d’ailleurs déboursé 84,5 millions de dollars pour assister au naufrage. Hors inflation et sans compter les recettes à l’étranger, c’est un score impressionnant. Bob Barbash et Richard Landau comptent bien proposer à Disney de réitérer l’exploit avec une production de leur crû.

Ils montrent donc une première ébauche du nom de Space Station 1 à Franck Paris, chargé de ce type d'affaires, qui le pitchera à Winston Hibler pour aider au développement. C’est lui qui ajoute l’idée du trou noir, jusqu’alors absent du script. Tout ça se e en 1974. A partir de là, le document va er dans les mains d’un paquet de monde, réécrit inlassablement par William Wood, Ed Coffey, Jeb Rosebrook ou encore Gerry Day, consulté comme script doctor.

 

photo, Gene HackmanL'Aventure pas très Disney-friendly du Poseidon

 

Très tôt dans le développement, l’aspect visuel et la promesse d’effets spéciaux entraîne le tout, puisque des artistes de concepts sont engagés pour faire avancer la chose. Par ailleurs, quand Gary Nelson est approché pour s’occuper de la réalisation, il a refusé d'abord en lisant le scénario proposé. Il faut qu’on lui montre des matte paintings pour qu’il accepte de se lancer dans l’aventure. Cette importance de l'esthétique et de la technique, venant directement des exécutifs de Disney, prouve bien leur volonté de relancer un studio célèbre pour ses expérimentations visuelles et ses effets spéciaux remarquables. Encore une fois, 20. 000 lieues sous les mers est dans toutes les têtes : c’est l’exemple parfait du film d’aventure efficace et servi par une esthétique novatrice, indéniablement populaire.

Niveau casting, le rôle de Reinhardt, le scientifique fou de pouvoir, aurait été considéré par des noms comme Les Dents de la mer 9 millions.

Mickey est si obnubilé par les effets spéciaux qu’il va débourser une somme conséquente pour se fabriquer sa propre version de certains systèmes de mise en scène innovants, qu’il serait trop onéreux de demander directement à ILM. Quand on connaît la situation actuelle, l’ironie est mordante.

 

photoSpace Ball

 

A SPACE ODYSSEY

Et le résultat est à la hauteur. Étrangement, beaucoup de spectateurs modernes en gardent le souvenir d’un long-métrage kitsch au possible, ultra ringard. Une telle perception provient peut-être du look du robot accompagnant les héros, sentant le plastique frais à travers l’écran. Mais techniquement, le reste est d’excellente facture et fait plus que tenir la comparaison avec Star Wars. L’intégralité des décors, des maquettes et des intérieurs de vaisseau en imposent lors de plans résolument spectaculaires. Que dire également de l’incrustation du trou noir en question ? Menace aussi mystérieuse que mortelle, il reste en permanence en arrière-plan, comme pour rappeller l’issue inéluctable du film ou plus prosaïquement pour démontrer l’efficacité des matte paintings, magnifiques.

Petit bémol, donc : les robots, pourtant au cœur du récit. Disney oblige, les personnages se coltinent une mascotte très bavarde, sorte de C3PO sans humour, bagarreur et programmé pour citer des banalités à chaque retournement de situation. La seule séquence vraiment ratée des 1h30 de film est sans conteste la scène de jeu entre les deux machines, concours artificiel aussi débile que mal conçu.

Qu’importe, certains ages valent leur pesant de cacahuètes, que ce soit la découverte du Cygnus, le grandiose vaisseau où se déroule la plupart de l’action, ou bien sûr la poursuite finale, sous une pluie de météorites. C’est sur cette dernière que Gary Nelson révèle son principal talent : savoir mettre en scène des effets spéciaux.

 

photoMax la menace

 

Tout cela culmine dans un final totalement inattendu, sorte de point de chute d’un script qui n'existe que pour ce moment. 2001 est é par là, et croyez-le ou non, Disney lui rend hommage en s'attaquant au potentiel presque métaphysique qui emplit l’immensité de l’espace.

Évidemment, il n’est pas question de réfléchir à notre place dans l’univers, mais de céder à un trip visuel en roue libre, convoquant des iconographies qu’on ne pensait vraiment pas voir dans un film du genre. Le Trou noir nous donne un aperçu du ciel et des enfers, symboles de la destination aventureuse ultime, le seul but que l’homme ne peut pas atteindre (les dernières paroles de Reinhardt seraient celles de Goethe) et que les héros ne feront que traverser. C’est l’occasion de concevoir un plan qu’on pourrait croire tiré du dernier Doom, sorte de moment halluciné voguant dans la filmographie bien sage de Mickey.

Peu étonnant que le long-métrage soit le premier classement PG de la firme. Zombies, Anthony Perkins, religion, tragédie et concepts irrationnels (on ne saura toujours pas ce qu’il se e concrètement dans un trou noir) s’y mêlent, dans un bouillon qui ne sied guère aux enfants de l’époque. Bien sûr, rien n’est réaliste dans tout ça, surtout sur la fin. C’est un pur trip de space-opéra, dont le rapport à la physique se dissout dans l’objectif principal d’à peu près toutes les parties impliquées dans le projet : proposer un vrai spectacle, et un final en apothéose. En ça, la version HD proposée par Disney+ se transforme en pain béni et permet assurément de redécouvrir les principales qualités du film.

 

photoTriple vitrage

 

STARCRASH

Malheureusement, une telle proposition ne sera pas du goût de tout le monde. Lors de sa présentation à la presse, Le Trou noir fut loin de faire l’unanimité même si la plupart notaient le soin apporté aux décors et à la direction artistique en général. Le New York Times a écrit par exemple : « Les effets spéciaux sont chics, et les designs encore plus. Les décors sont si attirants, en fait, qu’ils éloignent notre attention des acteurs, ce qui, dans les films du genre, est quasiment toujours une bonne idée. ». Les clichés sont tenaces. Heureusement, Star Wars est é par là et Time débute carrément sa critique en citant George Lucas.

Mais au-delà de l’accueil critique, juste mitigé, c’est surtout un petit bide pour Disney. Le film ne récupère que 35 millions de dollars aux Etats-Unis, et les exécutifs qui avaient tant misé dessus ne rentrent plus dans leurs frais. A noter qu’il ne s’en sort pas si mal en puisqu’il cumule 1,5 million d’entrées. Pas de quoi en faire un succès, loin de là. D’autant plus que la sortie du monstre Star Trek : Le Film quelques semaines à peine auparavant et produit pour 35 millions de dollars n’arrange pas les choses.

Le Trou noir ne tient pas la comparaison et s’enfonce dans l’oubli, avec quelques autres faux pas de l’époque, tel que Chérie, j'ai rétreci les gosses.

 

photoStar Tour

 

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En 1982, Interstellar, peut-être plus réaliste mais toujours très intéressé par ce qui se cache dans ces astres cryptiques.

En 2009, il a été question d’un remake potentiellement mis en scène par Joseph Kosinski, déjà derrière la suite de Tron. En 2016, un des auteurs attaché au projet a évoqué dans un entretien avec /Films une mise en pause du développement, car l’histoire serait trop sombre pour Disney. L’histoire semble se répéter.

 

Affiche officielle

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[)@r|{
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il y a 5 années

« Le Trou Noir », un film glauque et très dark. Un objet kitch et culte [le bruit des lasers gun est inoubliable] et la scène des météorites incandescentes est absolument génial. [surtout la scène de la erelle]
Donc, le plus gros des nanars de l’espace vient-il d’Oncle Picsou ? La réponse est ouiiiiiii. C’est « Les derniers Jedi » ou « Les derniers affreux » c’est comme vous voulez, mais surement pas « Le Trou Noir ».

mmarvinbear
mmarvinbear
il y a 5 années

Le trou Noir est un des premiers films de SF que j’ai vu et il se regarde avec toujours autant de plaisir, même si maintenant les trous dans le scénario sont aussi visibles que les fils de nylon des acteurs :). Moi perso, j’ai adoré les robots. Max la grosse brute qui est hyper classe, vinCENT qui est selon moi aussi réussi visuellement que BB8 et BOB avec son allure déglinguée qui le rend sympathique au possible. Mais on a toujours de la sympathie pour ce qui est déglingué après tout.

Carlitto
Carlitto
il y a 5 années

Vu à sa sortie en salle en octobre 79 !!!
Le doublage français est atroce. Le cul entre 2 chaises, Disney à l’époque étant exclusivement estampillé « enfants » conçoit le robot principal de manière ridicule…
Dommage car les mattes de Peter Ellenshaw sont splendides, la musique de John Ba

Daddy Rich
Daddy Rich
il y a 5 années

Un pt’i « classique » de mon enfance! J’avais découvert ça en salle!
J’adorais ce film!
Qui contient une scène extrêmement triste…
Bref, je vais le faire découvrir à mes enfants de 9 et 7 ans d’ici quelques jours! On verra bien… leur avis! 😉

Kyle Reese
Kyle Reese
il y a 5 années

Ce film m’a fait faire des cauchemars enfants.
Maximilien le méchant robot était impressionnant.
Le design du vaisseau était superbe.
Et la découverte de ce que cache les visages miroirs de l’équipage …. des frissons.

Je suis curieux de le revoir mais ai peur d être bien déçu.

Bond
Bond
il y a 5 années

Le design du vaisseau était magnifique

Numberz
Numberz
il y a 5 années

Moi, j’adore ce film. Ça a hyper mal vieilli. Mais c’est vraiment une madeleine de proust. J’ai même le pop up sorti chez Nathan à l’époque.

Flash
Flash
il y a 5 années

Le dragon du lac de feu ? m’en parler pas les gars, un autre traumatisme enfantin. En général le héros sauve la princesse, là elle se fait bouffer, brrr, excellent film dans mon souvenir.

zetagundam
zetagundam
il y a 5 années

Découvert il y a quelques avec mes yeux d’adultes, c’est extrêmement mauvais mais il y a peut-être 2/3 idées à avis mais ne me demander pas lesquelles

Opale
Opale
il y a 5 années

je vois que nous avons eu les même traumatismes étant enfants!!!^^ Ce film fait parti de la période « sombre » Dark Fantasy de Disney avec effectivement Le dragon du lac de feu, Les Yeux de la forêt et La foire des ténèbres. Que des échecs, dommage…