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Judge Dredd : quand Hollywood et Stallone faisaient régner leur loi sur les comics

Par Simon Riaux
4 juillet 2021
MAJ : 21 mai 2024
Judge Dredd : Affiche officielle

Film décrié, demeuré comme un exemple d'infidélité à une création révérée, Judge Dredd est parfois considéré comme le pire Stallone. L'est-il vraiment ?

Quand sort Judge Dredd en 1995, Rambo, mais il demeure une star internationale extrêmement puissante, de celles dont le menton dévoilé par une affiche suffit à assurer la promotion d'un blockbuster. De celles qui peuvent exiger la transformation d'un projet, parce que le scénario leur déplaît ou ne les sert pas ainsi qu'ils l'entendent. Une stature qui va néanmoins rapidement se dégrader au mitan des années 2000. Notamment à cause de l'échec de l'adaptation qui nous intéresse.

La presse a souvent vu dans l'échec du métrage, sorti entre Joel Schumacher chez Batman ont électrisé le box-office. Mais il y a bien d'autres raisons pour lesquelles cet été-là, le juge n'a pas fait la loi sur les salles obscures.

 

Photo Judge Dredd"Attention Ecran Large"

 

COPY COMICS

Pour comprendre en quoi Judge Dredd témoigne d'une époque et d'une philosophie industrielle révolues, il faut remonter à 1989. Richard Donner était considéré comme un cas à part, son héros jouissant d'une popularité qui s'étend bien au-delà des pages de papier glacé, pour embrasser toute la mythologie américaine, les cartes se voient rebattues. Pour Hollywood, le message est clair, les entités issues de la culture populaire, des comics et des jeux vidéo (dont la popularité croît à toute berzingue) doivent désormais être prises au sérieux.

Les "IP" (intellectual properties, traduit souvent un peu vite en français en "marques"), les licences et autres franchises sont encore bien loin d'être des notions connues du grand public, mais les studios se mettent en branle, changent leur fusil d'épaule afin de fondre sur quantité de nouveaux matériaux à transformer en films alléchants. En quelques années, à la faveur de budgets parfois très conséquents, débarquent sur les écrans The Mask. Si leurs succès sont inégaux, l'excitation que ces projets provoquent au sein du public et d'une partie des médias est incontestable. 

 

photoC'est beau une ville la nuit

 

Ni une ni deux, pour tous les scénaristes gavés de bandes dessinées, de comics et de ce qu'on n'appelle pas encore des romans graphiques, le ciel se dégage. Ils vont enfin pouvoir porter leurs héros à l'écran. C'est notamment ce que pense le scénariste Steven E. de Souza, grand fan devant l'éternel du personnage de Judge Dredd, qui connaîtra son heure de gloire au Royaume-Uni durant les années 80. Il est le fruit de la collaboration entre le scénariste John Wagner et le dessinateur Carlos Ezquerra. Le monstre qu'ils engendrent est un objet de pop culture radical publié dans la revue britannique 2000 AD, formidablement en prise avec son époque.

 

photo, Sylvester Stallone, Rob SchneiderUn duo qui (ne) fait (pas) d'étincelles

 

On y retrouve le goût de la dystopie popularisé par Métal Hurlant sur papier et Mad Max sur grand écran, Dredd évoluant à Mega-City One, une des trois dernières mégalopoles encore debout après une guerre nucléaire peu clémente avec l'humanité. Mais on retrouve également une critique sociale féroce, à travers le portrait d'une société ultra-autoritaire, ivre de violence, symbolisée par un héros qui tient plus du bourreau fasciste que du Garde des Sceaux de la street. Clone presque totalement dénué d'identité ou de réflexion profonde sur le sens de son action, il n'hésitera pas à atomiser la dernière cité russe pour faire respecter la "Loi". À tout cela s'ajoutent des incursions d'aliens, de morts-vivants et d'adversaires multidimensionnels, pour faire bonne mesure.

C'est à cette oeuvre dense, éminemment politique et dérangeante que Steven E. de Souza veut rendre hommage. Mais comme il l'a révélé à Den of the Geek en 2013, l'auteur sait ce pour quoi il a été engagé, et tente de faire rentrer l'héritage de Dredd dans les exigences qui sont celles du film.

"Alors, moi, dans cette affaire, je suis innocent. J'ai écrit un script PG-13 ! (l'équivalent de notre -12 ans) De toute évidence, j'étais rompu à l'exercice, j'ai écrit pour des émissions de télé matinales, nom de dieu !"

 

photoTournez méninges

 

LA LOI, C'EST PAS TOI

Parallèlement, le metteur en scène Danny Cannon est lui aussi un lecteur chevronné du matériau original, qu'il compte bien honorer en livrant au public un blockbuster enragé. Mais le cinéaste n'a alors que deux films indépendants à son actif, et au sein d'une grosse machine comme celle qu'il vient de redre, il a véritablement pour mission d'assurer que le musculeux budget de 70 millions de dollars ne soit pas déé et la commande des pontes d'Hollywood, respectée. D'ailleurs, pour les deux entités qui fabriquent Judge Dredd, Cynergy et Hollywood Pictures (société appartenant tout de même à un certain studio Disney), il ne fait aucun doute que le résultat doit pouvoir attirer en masse le grand public, et certainement pas le choquer.

Sauf que Cynergy, qui a théoriquement la main sur la production, traverse une mauvaise e financière, qui va provoquer une réaction en chaîne pas piquée des hannetons.

 

 

 

"Judge Dredd était censé être un film PG-13 et à l'époque, Cynergy était économiquement abimée, du coup, ils étaient incapables d'envoyer un exécutif sur place, en Angleterre. En leur absence, le réalisateur, qui voulait être fidèle aux comics, à tout fait pour que le projet devienne de plus en plus violent. Quand le premier montage a été dévoilé, il a été classé X."

On imagine la réaction de Disney et de ses associés, qui n'avaient jamais envisagé de devoir batailler pour ramener leur grand divertissement estival avec Sylvester Stallone dans le giron des productions familiales. Une situation conflictuelle qui aurait dû se solder par le renvoi du réalisateur, ou sa soumission à la fabrication d'un tout nouveau montage. Mais un nouvel imbroglio légal est venu grandement compliquer l'affaire.

"Et bien Disney a alors déclaré vouloir retirer la direction du projet au réalisateur, parce qu'il avait signé un contrat l'engageant à livrer un film PG-13. Mais Cynergy, qui travaillait dans le cas présent à travers la structure de Disney, n'avait jamais fait autre chose que des films classés R (l'équivalent de notre -16 ans). Personne au sein de leurs équipes n'avait jamais eu à faire signer un document de ce type à un metteur en scène... et ils se sont retrouvés contraints de le payer. Ils ne pouvaient pas ref le versement d'un salaire en vertu d'une clause légale qu'ils ne lui avaient jamais demandé de respecter."

 

photo, Sylvester StalloneVoilà un bien beau menton

 

Le blockbuster sera finalement classé R, un non-sens commercial, étant donné sa cible, son budget et la logique industrielle des firmes impliquées alors. Une situation d'autant plus rocambolesque que dès le tournage, un certain Sly avait tout fait pour que le long-métrage ne se transforme pas en trip de SF trop sombre.

En effet, la production aura été émaillée de francs conflits entre cinéaste et star, cette dernière étant résolue à tourner une comédie d'action. Plutôt que la victoire de l'un sur l'autre, on assista à un improbable mélange des genres. N'étant pas un réalisateur starifié, et ne disposant d'aucun autre moyen de pression sur Stallone que sa (mauvaise) volonté, Cannon s'efforçait de compenser les réécritures voulues par le comédien et mettant en avant l'aspect buddy movie rigolard, par une direction artistique toujours plus cradingue, une représentation des forces de l'ordre en milice fasciste paranoïde assumée, et des figurants décimés à la pelle.

  

photo"Surtout, ayons l'air naturels"

 

SUPER WARIO BROSSE

D'où une création que ses instigateurs ne savent pas franchement comment vendre ni exploiter, et dont la genèse a engendré un gros bébé très éloigné de ses inspirations d'origine. Le résultat est fraîchement reçu par une critique qui y voit un énième film à gros budget à l'intrigue prévisible, dénuée de saveur ou d'enjeux. Les fans, eux, sont outrés. Dredd e de trop longs et fréquents moments sans son casque (personne ne souhaitant alors investir sur Sly sans montrer son visage), et la tonalité de l'ensemble, notamment les vannes proto-méta de Schneider, achève de composer ce qui demeurera à leurs yeux une trahison.

Enfin, avec ses grands décors de studio et ses effets en très grande majorité effectués à même le plateau, le blockbuster semble arriver à contretemps, deux ans après la révolution numérique de Jurassic Park. Non pas que leur rendu soit problématique, ils recevront même quelques nominations aux Saturn Awards. Mais la roue de l'histoire tourne, accélère, et Judge Dredd fait figure de grain de sable trop insignifiant pour l'empêcher de tourner.

 

photoDredd Bar team

 

Pourtant, revoir le film aujourd'hui, c'est constater que pour déséquilibré ou malade qu'il puisse être, s'en dégage un charme curieux, qui n'est, paradoxalement, pas tout à fait étranger à ses défauts. Tout d'abord, il y a quelque chose de fascinant dans la schizophrénie de l'entreprise. Comment peut-on aligner, parfois à quelques secondes d'intervalles, des plans langoureux de Armand Assante ? Rien ne s'articule dignement, parfois au coeur d'une même scène.

En témoigne la séquence, interminable, mais lardée de formidables visions ou moments de bravoure, au cours de laquelle des mutants craspecs, assez impressionnants, découpent Max von Sydow, avant que Stallone ne leur règle leur compte pendant que son sidekick nous abreuve de blagues toutes plus nulles les unes que les autres. Le résultat est incontestablement branque, mais entre l'énergie déployée par chacun, un design général d'une sacrée richesse, des maquillages détaillés et une photo soignée, difficile de ne pas rester les pupilles dilatées devant tant de glorieuse décadence.

 

photoExécutif découvrant le premier montage du film 

 

Finalement, c'est peut-être ce qui confère à l'entreprise son charme curieux. Une sorte de témoignage d'une époque définitivement révolue, avant les univers partagés, les réseaux sociaux et le règne sans partage des fonds verts. Un film aux décors parfois gigantesques, formidablement détaillés, qui se montrent ici et là d'une richesse formidable. Un film usant à la perfection de techniques aujourd'hui perçues par le prisme de la nostalgie, mais qui livraient à l'époque leurs plus beaux éclats, à la manière d'un féroce androïde de combat, qu'on jurerait échappé d'un comics déviant.

Et puis il y a, ici et là, des plans ravageurs tant ils débordent d'un amour sincère pour le matériau originel, mais aussi pour la puissance évocatrice du 7e Art, tel Von Sydow, transformé soudain en pistolero, quittant Mega City One sous les armes levées de ses troupes. Un Sylvester Stallone encore en pleine gloire, loin de la chute, loin aussi de la formidable introspection qu'il proposera durant les années 2000. Le résultat ne peut se mesurer au populaire Alex Garland conserve beaucoup de singularité.

Judge Dredd est-il raté ? Assurément. Mais il forme une sorte d'anti-jalon historique et un extrait de folie condensée qui en font un plaisir aussi pervers qu'appréciable.

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Anderton
Anderton
il y a 3 années

Effectivement, les 90’s ont vu apparaître pas mal d’adaptations de comics/graphic novels au cinéma, dont la plupart étaient peu ou pas connus du grand public; je pense aussi à « Tank Girl », « Barb Wire », « Men In Black » ou encore « Spawn », sans compter les projets avortés comme « Sergeant Rock » qui devait rassembler Stallone (déjà), Schwarzenegger et même Willis…
Comme beaucoup de ces oeuvres étaient quelque peu oubliées ou connues seulement de fan purs et durs, il était légion que les adaptations prennent de grandes libertés afin de coller davantage à l’image du studio qui les produisait ou de la star qui en interprétait le personnage principal.
L’échec était donc quasi garantie : soit le scénario faisait un beau bras d’honneur au matériau d’origine et aux fans, soit l’oeuvre choisie était tellement particulière qu’elle ne faisait pas le poids face aux blockbusters de l’époque.

Rorov94M
Rorov94M
il y a 3 années

Techniquement le film est une tuerie:décors,costumes,sfx,vfx,chep op’…
Stallone est impériale même sans casque.
Dans les scènes coupées il y aurait:
-plus de ralentis dans les scènes icôniques dans la présentations des antagonistes.
-plus de scènes avec Judge Hershey avec trip psyché i la clé.
-ont voyait un sdf se faire arranguer par un prêcheur,suivre ce dernier dans des décombres et de découvrir la famille du prédicateur(c’est celui qui se retrouve en méchoui dans la grotte:«loué soit le seigneur!»)
-le ABC WARRIOR serait plus présent(ont parle d’une trentaine de plans FINALISÉS jetés à la poubelle pour cause de rendu trop animatroniques!) et de 2/3 plans larges de loin en stop motion intégrant Rico.
-2 plans gore où le juge interprété par Prochnow se fait arracher les 2 bras et le sang éclabousse un perso.
-poursuite en motos plus longues de 30 secondes avec des plans en plus des 2 poursuivants.
-les bastons finales devaient être plus fluides et lisibles.
-LA fameuse scène arlésienne:un clone prématuré de juge qui s’enfuit(celui qui se tourne face caméra brutalement) qui était censé annoncer JUDGE DEATH pour une éventuelle séquelle!
-un plan séquence final de Dredd de dos sur sa moto arrivant sur une cornière de building permettant aux spectateurs de découvrir Mega City One une dernière fois avant le générique.

Rorov94M
Rorov94M
il y a 3 années

Le film est sympa.
Il enlève son masque,ok.
Y’a un sidequick lourdingue,ok.
Et le métrage et trop cut.
Mais je demande à voir le JUDGE DREDD DIRECTOR S CUT de Danny Canon(un petit génie des 90′)qui,selon MAD MOVIES,L’ECRAN FANTASTIQUE,et SFX existerait réellement d’une durée de 130 mn au lieu des 95 mn actuelles(hors générique!)
De l’aveux même de Canon,Pressman, Kassar, Vajna dans leurs interviews.
Il y a des bouts de scènes coupées dans une des bande-annonce de l’époque.
D’ailleurs,même la b-o à changée.
Qui sait,un jour…

Pat Rick
Pat Rick
il y a 3 années

On peut dire ce que l’on veut sur ce film, mais l’ayant revu récemment c’est un film d’action très divertissant certes imparfait mais bien calibré.

JohnBarry
JohnBarry
il y a 3 années

Complétement d’accord avec les commentaires ci-dessous.

J’ai vu ce film pour la 1ère lorsque j’avais 12-13 ans, et je garde un souvenir horrible du personnage de Rob SCHNEIDER. Il me sortait par les yeux.
Le coup de visage dévoilé enlève une grande part du mystère (et du charisme) au personnage.

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Kyle Reese

La version 2102 est effectivement bien meilleur. Il me semble qu’il n’était pas sorti au ciné, ou bien alors avec une distribution chaotique.
J’étais également bien déçu de ne pas le voir sur grand écran. La très bonne version Blu-ray a quelque peu réduit cette déception.

Ethan
Ethan
il y a 3 années

Personne ne connait ce film. Sorti directement en vhs. Pas sûr que la vf existe.

@Faurefrc
C’est clair. Rambo 5 aurait pu être un super film. Dommage qu’il ne connait pas Clint

Flash
Flash
il y a 3 années

Zarbiland@的时候水电费水电费水电费水电费是的 en effet, quand il enlève son casque, ça flingue le film.

Zarbiland
Zarbiland
il y a 3 années

Fan absolu de la bd dont je possède toujours le comic N°1 sorti en dans les années 80. Je me souviens avoir quitté la salle quand au bout de 10 minutes il enlève son casque, irrévérence ultime à la BD ou Dredd n’a jamais dévoilé son visage. Erreur qui n’a pas été faite dans le Dredd de 2012, largement supérieur à cette daube avec Stallone.

Flash
Flash
il y a 3 années

L’un des gros problèmes de ce film raté, c’est l’inable personnage comique. A lui seul, il plombe une bonne partie du métrage.

Mx
Mx
il y a 3 années

« le clan légendaire Angel et fils.

Pirates de la terre de malédiction, assassins, charognards, et avant tout, sacs à merde!!!!

J’ai rien oublié, Pa?!!! »