Films

Full Metal Yakuza : le Robocop sado-maso de Takashi Miike

Par Mathieu Jaborska
25 décembre 2021
MAJ : 20 novembre 2024
Full Metal Yakuza : Affiche

Avant Audition, Ichi the Killer et autres Dead or Alive, Takashi Miike faisait son Robocop avec Full Metal Yakuza.

Cela faisait longtemps que nous voulions consacrer un petit cycle au grand Takashi Miike. Magie de Noël oblige, internet héberge trop d'articles sur Love Actually pour ne pas enfin entamer la filmographie du maître.

Les opportunités d'inauguration de cette modeste rétrospective sélective étaient nombreuses. Audition, Ichi the Killer, Dead or Alive... le Japonais a pondu bien des classiques au début des années 2000. Pourtant, nous avons choisi de remonter encore avant, jusqu'à 1997, pour consacrer quelques lignes à Full Metal Yakuza, qui, en dépit de son titre aguicheur, doit autant à Kubrick qu'à La petite maison dans la prairie. Pourquoi ? Parce que c'est une bonne occasion de sensibiliser à la singularité de son cinéma tapageur.

 

Full Metal Yakuza : AfficheMetal as fuck

 

Né sous le signe du V

Bien des cinéphiles occidentaux déviants font remonter leur découverte du cinéma de Miike à Audition (1999), qui a vite acquis son petit culte grâce à un beau parcours en festival et à une réputation sulfureuse. Les plus sensibles d'entre eux se rappellent aussi de l'excellent Bird people in China (1998), aujourd'hui moins cité, car moins méchant que ses successeurs. Toutefois, avant de s'installer dans l'imaginaire collectif mondial avec ce double programme dévastateur, le prolifique cinéaste avait déjà plus de vingt films à son actif !

Il a en effet débuté grâce à la télévision, puis à la vidéo, marché communément appelé V-cinéma au Japon, pour lequel il a longtemps travaillé, et qu'il a contribué à populariser. Le terme est officiellement déposé par la Toei, l'un des grands studios locaux, mais il désigne désormais pour beaucoup cette industrie parallèle dans son intégralité. On sous-estime souvent le pouvoir du V-Cinema, comparé parfois un peu hâtivement au direct-to-video américain. Au début des années 1990, où l'industrie du cinéma traditionnelle était très mal en point, la faute à la crise de la fin des années 1980, il a beaucoup apporté à la culture japonaise en donnant une chance à de jeunes réalisateurs effrontés.

 

Ju-on : photoLe premier Ju-On, pur produit de V-cinema

 

Nombreux sont les acteurs à avoir été révélés par ce système, et les metteurs en scène à s'en être servi de tremplin, comme Takashi Shimizu, qui y a fait éclore sa franchise Ju-On (The Grudge), Shinji Aoyama ou même le protégé des festivals occidentaux Kiyoshi Kurosawa, dont le monumental Cure fut d'ailleurs également chroniqué ici. Mais surtout, il y a Miike, érigé depuis en grand chantre de cette activité roublarde, qui profitait de budgets microscopiques pour se lâcher dans tous les domaines, y compris ceux de la violence, d'où la réputation des films de Yakuza produits de cette manière.

Le cinéaste le disait lui-même au journal indien Indulge Express : "Finalement, c'est juste une question de liberté. Le V-Cinema... Ce n’était pas des films à gros budget. C'était fait pour les vidéoclubs et avec ces budgets plus petits, vous avez de la liberté. Mais quand vous travaillez pour une entreprise, vous utilisez beaucoup de leur argent. [...] Le V-Cinema était assez unique au Japon à cette époque. Les films n'étaient pas faits avec l'intention d'être montré à un public international. Ça m'a donné la liberté d'expérimenter avec ce qu'il y avait devant mes yeux, pour faire ce que je voulais faire. Généralement, c'était fait par moi pour celui que j'étais."

À partir de la deuxième moitié des années 1990, il a cependant commencé à réaliser pour le cinéma, notamment Shinjuku Triad Society, qui lui a garanti une petite notoriété au Japon, principalement grâce à sa violence. Mais il allait encore faire les grandes heures du V-cinéma jusqu'à 1997 et la conclusion explosive de cette partie de sa carrière (même s’il n'a jamais arrêté de travailler pour le petit écran) : Full Metal Yakuza. Un film libre, donc, complètement foutraque et forcément sincère.

 

Les Affranchis de Shinjuku : photoLes Affranchis de Shinijuku, du Miike pur jus dès 1995

 

Yakuza Apocalypse

Bien qu'il ressemble à une série B fauchée et racoleuse, Full Metal Yakuza est un film très personnel. Immense fan de Verhoeven, Miike lui rend hommage, tout en y insufflant ses obsessions : maltraitance, transgression des tabous sociaux, personnages en décalage complet avec le monde dans lequel ils vivent, ruptures de ton et imagerie sadomasochiste. En ça, il symbolise parfaitement le paradoxe du V-cinema : rester libre, certes, mais pas sans avoir diverti le public avant.

L'histoire de la conception de la chose, qu'il relate dans un entretien d'époque exhumé par l'utilisateur YouTube CrystalStarTube, en dit elle-même beaucoup sur le cinéma auquel il participe :

"J'attendais au bureau de quelqu'un dans une compagnie de production. J'ai vu des papiers avec écrit Full Metal Yakuza. Et je les ai regardés rapidement. C'était l'histoire d'un Yakuza qui devient un cyborg. Il y avait eu des films de Yakuza faits par Fukusaku et bien d'autres réalisateurs. Celui-ci était de la pure fiction ; c'est comme si Ken Takakura ou Sonny Chiba devenaient des cyborgs.

 

Kill Bill : Volume 1 : photo, Sonny ChibaSonny Chiba, légende du cinéma japonais

 

Quoi qu'il en soit, j'ai trouvé le scénario intéressant. Six mois après, quand on m'a demandé un projet intéressant, je m'en suis rappelé et j'ai appelé le producteur pour savoir s'il était disponible. Et le producteur nous a rets. Le scénario avait en fait été écrit par un accessoiriste dans un studio de Kyoto, et pas par un scénariste ou producteur. Donc personne ne voulait en faire quelque chose. Ce titre intéressant, qui m'avait attiré, est devenu un film en trois mois. Et maintenant, il est montré aux États-Unis et en Europe. Étrange, on ne sait jamais ce qui va se er dans nos vies."

Un coup de tête, une idée de technicien de l'ombre, 3 mois de pré-production, tournage et post-production, voilà ce qu'il lui a fallu pour faire naître Kensuke Hagane, aspirant Yakuza dont la tête est greffée sur le corps de feu son patron. Devenu machine, il doit le venger et sauver sa dulcinée. Une sorte de Parodie de Robocop filmée à qui mieux mieux (la moitié des cadres cherchent avant tout à camoufler l'absence d'effets spéciaux) et qui autorise le cinéaste à se livrer à sa ion : le dérapage plus ou moins contrôlé.

 

Full Metal Yakuza : photo"We got Robocop at home"

 

Alors que l'intrigue semble annoncer un sauvetage de "demoiselle en détresse" classique, la malheureuse est ée à tabac et e l'arme à gauche dans d'atroces soufs avant de se faire violer par ses tortionnaires, le tout devant les yeux (enfin, l'oeil) de son amant ! On a difficilement fait plus sadique.

Et pourtant, Miike prend le temps de composer quelques très belles scènes, comme la séquence de la plage, étrangement romantique. De la même manière qu'il n'hésite pas à mélanger les poncifs du film de Yakuza (la première partie, le désarmant plan-séquence final), avec de la science-fiction crado (le reste). Comme d'habitude, certaines scènes prennent de court, comme le léchage d'oeil, le cruel suicide de Yukari ou le sursaut de body-horror phallique cronenbergien final.

Bref, le film conclut en beauté ses débuts tapageurs dans le V-cinema tout en anticipant la folie de ses futurs essais. Et pour cause : le cinéaste n'a jamais cessé de s'adresser au même public... LE public.

 

Full Metal Yakuza : photoRe-Animator

 

Miike superstar

"Je ne suis pas une personnalité de l'industrie du film. Je suis dans l'industrie du film video" disait-il en 2000, comme le rapporte Little White Lies. C'est probablement une des clés de compréhension de son oeuvre. Même s'il est é à des budgets supérieurs, des productions plus familiales (quoique le récent The Great Yokai War – Guardians sème le doute), il n'a jamais cessé de revendiquer la liberté du V-Cinema, la fougue de l'époque, y compris dans un film comme First Love, lui aussi strié de flashs délirants.

Il appréhende chaque nouveau défi, chaque nouveau long-métrage comme s'il était encore dans cette dynamique, comme s'il était encore un jeune artiste inarrêtable. Il disait à Collider en 2015 : "Je fais des films depuis très longtemps. La manière japonaise de faire des films est devenue une seconde nature pour moi. Pour éviter ça, j'essaie vraiment de m'entourer d'équipes jeunes et d'approcher la réalisation non pas comme un vétéran de l'industrie, mais toujours comme un débutant, un bleu".

 

First Love : photoLes Yakuza de First Love

 

Une quête perpétuelle de nouveauté qu'on devinerait presque transparaître dans le personnage du réalisateur de Why don't you play in hell, Sono Sion et lui étant de très bons amis, qui partagent une ion pour un cinéma qui ne va jamais là où on l'attend. Son approche de son art devient limpide quand on s'aperçoit qu'il n'a jamais vraiment quitté le carcan de la vidéo fauchée. On lui reproche son sexisme lorsqu'il torture de jeunes femmes à la pelle, mais il leur accorde une vengeance féministe sans précédent dans Audition. On s'enthousiasme de la violence brute de Dead or Alive, il réalise une suite beaucoup plus intime.

Il ne s'agit que de s'inscrire dans une tension entre la liberté personnelle et l'attention du public, quitte à rendre fous les partisans d'une théorie des auteurs archaïque. Et c'est aussi en partie une raison de sa popularité : il incarne presque l'âme du cinéma d'exploitation, justement ionnant lorsqu'il est tiraillé entre des ambitions artistiques parfois complètement mégalomanes et les attentes d'un public qui aime être surpris... mais pas trop. Un entre-deux galvanisant au sein duquel le bancal Full Metal Yakuza a bien sa place, et où Takashi Miike règne en maître absolu.

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zetagundam
zetagundam
il y a 3 années

Le film est disponible en français légalement ?

Sinon, un bon dtv de Miike avec les forces (pitch totalement barré, inventivité) et les faiblesses (rythme en V et sans budget) classiques du réalisateur