Film bâtard et transitif dans la filmographie de Tom à la ferme figure une vision de l’amour pervertie, où violence rime avec repentance.
Rapidement érigé au statut du jeune prodige – ou selon les écoles, d’enfant terrible du cinéma – Xavier Dolan achève à vingt-quatre printemps sa trilogie de l’Amour, atteignant de fait une étape charnière dans sa filmographie.
En adaptant au cinéma la pièce de Michel Marc Bouchard, Xavier Dolan s’immisce au cœur d’un univers autre que le sien, et verse pour la première fois dans le film de genre. Simultanément thriller érotico-psychologique et drame romantique, Tom à la ferme dresse ainsi le portrait d’individus aliénés par la solitude et le vide. En figurant l’impossibilité du deuil, Dolan propose alors une vision de l’amour qui lui était jusqu’alors inédite : malade, tordue, maculée par la perte et par l’ennui.
Attention spoilers sur le film en question.
« Toi, toi mon tout, mon moi »
« Aujourd’hui, c’est comme une partie de moi qui meurt. J’ai oublié les synonymes du mot tristesse. Maintenant, ce qu’il nous reste à faire sans toi, c’est te remplacer. »
Une serviette de table posée sur le tableau de bord d’une voiture absorbe les mots bleus d’un éloge funèbre. Par cette esquisse, le cinéaste figure dès l’ouverture du récit l’impossibilité viscérale pour Tom (Xavier Dolan) de faire son deuil, mais surtout, la nécessité de trouver un nouveau cap où diriger son affection. Néanmoins, Tom n’écrit pas « je » dans son discours, mais bien « nous », impliquant de fait que la substitution à venir est à concevoir selon plusieurs degrés.
Après tout, que faire de l’amour lorsque l’être aimé n’est plus ? Que faire de cet amour sans objet, sans finalité ? Que seule le manque subsiste et que les fantômes n’écoutent plus ? Esseulé et abimé par cette brusque perte, Tom ne cherche pas tant à guérir de cet amour révolu qu’à le maintenir à flot, refusant le départ de l’autre. Après tout, qu’est-ce que l’absence sinon la trace béante de ce qui n’est plus ?
De l’art de noyer son chagrin dans une pinte à 8€
Bercé par le rythme lancinant des « Moulins de mon coeur », une voiture suivie par un travelling en plongée zénithale fend le cadre et traverse les routes de campagne désertes. À l’arrivée de Tom, la ferme des Longchamp semble vacante, hostile. Mais là où le saint craint pour sa vertu, le pêcheur, lui, entrevoit une chapelle où contrefaire sa repentance. Alors au cœur de ce paysage étranger, le personnage tente d’oublier sa peine en s’oubliant tout entier, jusqu’à se substituer à celui qu’il est venu mettre en terre.
Entre les murs d’un foyer contaminé par la mort d’un fils, Tom rencontre donc pour la première fois Agathe (Lise Roy), mater dolorosa maintenue dans l’ignorance. Elle ne le connaît pas. Rapidement, il apparaît qu’elle ne connaissait pas réellement son fils non plus. Simultanément éplorée et glaçante, celle-ci contraint ce gendre insoupçonné à er la nuit dans le lit de Guillaume, et, plus tard, à en er les vêtements pour mieux participer aux travaux de la ferme. Et voici que l’amant se fait brusquement l’ersatz filial d’une mère aussi névrosée qu’inconsolable.
Dépourvu de repères et moins en recherche d’une distraction à sa douleur qu’un moyen de l’expier, Tom embrasse ce rôle, lequel lui permet de ranime le défunt à même sa propre chair. Mais loin d’être innocent, le glissement identitaire se complexifie dès que le personnage découvre ex abrupto l’existence d’un double énigmatique.
Endormi dans le lit de l’amoureux disparu, cajolé par les vapeurs réconfortantes d’un habit lui ayant appartenu, Tom est violemment tiré du sommeil par Francis (Pierre-Yves Cardinal, intraitable), un frère sciemment tenu clandestin. Menaçant, ce dernier astreint Tom au silence, soucieux d’entériner l’illusion d’une vie ée dans les clous. Plus que de figurer la violence intrinsèque au personnage, la scène se joue également d’une sensualité paradoxale, ambivalente – laquelle établit les fondements du rapport trouble que partageront les deux hommes tout au long du récit.
Le matin suivant son agression nocturne, Tom réalise que Francis a brisé ses lunettes. Le geste, a priori sans équivoque, sous-tend l’étendue d’une inclinaison à la destruction. Mais la nature de l’accessoire en question appelle toutefois à une lecture plus profonde, démontrant sans trop en avoir l’air un désir impérieux de nier le réel, d’entretenir le flou où retrouver le disparu.
En remplaçant le vide laissé par Guillaume dans les coeurs de Francis et Agathe, Tom réincarne son amant défunt, mais s’éprend dans le même temps du frère de ce dernier, permutant lui aussi la figure du mort à celle d’un vivant. Après tout, la ressemblance entre les deux hommes est frappante, et le personnage de Pierre-Yves Cardinal en abuse sciemment pour mieux garder l’autre dépendant de lui.
Combat de cocks
S’il n’est pas le monstre que les premières séquences laissent entendre, Francis n’en est pas moins un manipulateur aussi vicieux qu’animal. Loin de l’archétype du gueux simplet aux mains crasses, le personnage ne perçoit que trop rapidement la culpabilité de Tom, une culpabilité si intense qu’elle semble en éluder l’affliction, et dont il exploite simultanément les besoins affectifs et violents.
L’ambivalence de ce traitement est particulièrement rendue manifeste à l’occasion de l’emblématique fuite à travers le champ de maïs. Le cinéaste opte alors pour une caméra dont la valeur se prête à une double subjectivité – celle du chasseur, et celle de la proie. Le travelling circulaire autour du visage de Tom suggère la perception d’un prédateur rôdant autour de son gibier, tandis que les plans fixes sur les épis agités par le vent adoptent davantage celle d’une victime aux aguets.
Lequel est le plus mort : les cheveux ou les maïs ?
Lorsque Francis surgit finalement, celui-ci propulse Tom au sol et, suivant le rythme effréné des percussions composées par Gabriel Yared, le roue promptement de coups. Mais la scène ne se saurait se réduire à une vulgaire démonstration de force ; le corps pressé contre la forme recroquevillée de Tom, le personnage de Pierre-Yves Cardinal glisse finalement ses doigts entre les mèches blondes après lui avoir craché de force dans la bouche.
Simulacre de tendresse pervertie, jouissance pernicieuse… Le geste est ainsi aussi érotique qu’il est abject, et si Tom semble à première vue se soumettre à l’humiliation, il n’hésite pas à rendre la pareille à son tortionnaire, en lui crachant lui aussi au visage.
Au-delà du symbolisme évident que suggère cet échange de fluides, la séquence traduit avant tout le caractère réciproque d’une relation où les personnages s’utilisent l’un l’autre en vue de servir éhontément leurs propres intérêts. Le soir même Francis somme plus qu’il ne suggère à Tom de prolonger son séjour. « Je sais que tu me trouves beau. Reste donc », commande-t-il, quoiqu’à demi incertain. Et voilà que malgré les ecchymoses maculant son visage, Tom consent à sa propre captivité.
Cette mécanique bien huilée a toutefois ses limites, et l’aîné s’empêtre progressivement dans les méandres de son propre jeu. La séquence où celui-ci confesse d’un air faussement détaché rêver d’échapper à la ferme augure ainsi un inéluctable renversement de pouvoir entre les deux hommes.
Le tango qu’ils partagent, aussi sensuel que sinistre, marque de fait la subtile bascule d’un ordre préétabli. Reproduction d’une activité à laquelle Francis et Tom se livraient tous deux avec Guillaume, la danse ne fait pas qu’établir un transfert ; elle soustrait sournoisement le mort de l’équation.
« Qui t’a appris à danser comme ça ? »
Le personnage de Pierre-Yves Cardinal ne cherche plus tant à retrouver son frère au travers de Tom qu’à retenir ce dernier, à se repaître sa compagnie. La réalisation l’indispose. Non, elle le bouleverse. De nouveau en proie à son tempérament impétueux, Francis inflige de nouvelles blessures à son souffre-douleur personnel, qui les accueille avec béatitude.
Les sentiments du personnage campé par Dolan sont aussi conflictuels que ceux éprouvés par Francis à son égard : son besoin cathartique d’expiation à travers les excès que lui impose le double de Guillaume se mêle progressivement à un amour persistant, douloureux, dont il cherche à se défaire – sans succès.
Sweet dreams are(n’t) made of this
Fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis
Après avoir retiré ses pneus à la voiture de Tom pour empêcher une première tentative d´évasion, Francis ordonne à l’autre de se changer, puis le traîne se saouler au milieu de nulle part. Ivre, l’aîné personnage pousse lentement – lascivement – son cadet contre le hangar derrière lui, et pose une main sur sa gorge. Pour la première fois cependant, ce geste intimidant est dépourvu de violence. Il s’agit au contraire d’une offrande à Tom qui en réclame la brutalité, d’un testament de codépendance entre les deux hommes.
L’image est sombre, la profondeur de champ est nulle, effacée par le hangar derrière les personnages dont la tôle ondulée pourrait se méprendre à des barreaux de prison. Mais Tom est simultanément prisonnier et geôlier, et alors qu’il ordonne à Francis de le suffoquer davantage, ce dernier se plie aux désirs de l’autre sans broncher :
« Tu me dis quand arrêter. C’est toi qui décides ».
Comme une image de parvis lycéen
Pour la seconde fois du récit, cinéaste rétrécit le format de son cadre pour atteindre le 2.35, émulant non seulement le procédé de strangulation, mais aussi, l’étourdissement de Tom alors qu’il se laisse sciemment aller à la confusion entre l’amant défunt et le tortionnaire : « Tu sens pareil. T’as sa voix aussi. T’as la même fucking voix ».
À l’évocation de feu son frère, le personnage de Pierre-Yves Cardinal effectue un subtil mouvement de recul avant de relâcher son emprise. Cette brusque répulsion trahit l’ébranlement intérieur submergeant soudain le personnage, et le spectateur ne saura alors affirmer si ce rejet est à imputer au chagrin que lui cause le souvenir de Guillaume, ou à la réalisation qu’il ne sera jamais celui que Tom vraiment.
Dans une veine similaire, les raisons pour lesquelles Tom parvient finalement à se libérer des Longchamps à l’issue du récit demeurent tout aussi ambiguës. S’agit-il de la révélation morbide du crime commis dix ans plus tôt ? Du rejet amoureux de Francis, lequel a finalement préféré la compagnie de Sarah à celle de Tom ? Quelle que soit la réponse, celui-ci réussit à se défaire de sa torpeur, et, s’éveillant un matin dans les entrailles d’une maison vide, rassemble ses affaires à la hâte pour mieux quitter la ferme.
Une fois de retour à la ville toutefois, le personnage se montre moins soulagé que rongé par le doute. Arrêté à un feu rouge, la mâchoire crispée, la poigne serrée sur le volant de sa voiture, Tom semble hésiter, comme tiraillé par un désir quasi viscéral à faire demi-tour pour s’en aller retrouver Francis.
Alors que le feu de circulation e du rouge au vert, le personnage ne redémarre pas. Xavier Dolan prolonge le plan de quelques secondes. Mais alors que le spectateur retient son souffle, l’image disparaît, suggérant ainsi une fin ouverte.
Tom à la ferme ne conte finalement pas tant l’histoire d’un deuil amoureux – ou plus subtilement, du deuil de l’amour – que de la perversion de celui-ci sous le joug de la violence, laquelle devient simultanément cause et conséquence. Elle retient Tom auprès de Francis comme elle le repousse, le soigne comme elle le blesse, comble un besoin organique comme elle le transforme et l’avilit.
Récit sur l’amour en négatif, le quatrième film du cinéaste se conçoit donc comme un film sur la perte de soi qu’entraine celle des êtres chers, les séquelles du vide, et l’impossibilité d’en guérir tout à fait.
Dolan tout c’est sont de la Merde toujours la même chose
Hé, la propreté ! T’es bien trop propre. C’est dangereux une telle pseudo pureté. Ça tue la vie. Et ça tue surtout la liberté d’expression. Je ne suis pas fan de Dolan, mais de là à vouloir l’enfermer. Quoi que… Il tournerait sans doute son plus grand film en tôle.
Hé, la propreté ! T’es bien trop propre. C’est dangereux une telle pseudo pureté. Ça tu la vie. Et ça tue surtout la liberté d’expression. Je ne suis pas fan de Dolan, mais de là à vouloir l’enfermer. Quoi que… Il tournerait sans doute son plus grand film en tôle.
@la propreté : j’aimerais ne jamais avoir à parler d’art, de cinéma, de roman ou de peinture. Tu mélangés tout, le réalisateur (profession) et la persona d’une personne (que tu ne connais pas).
Retour regarder les teletubies et la bande à fifi. Bisous d’amour sur toi
Ahahaha le boulet de réac
T’as rien compris à la vie, et la vie te fuit
Enferme toi chez toi et oublie nous merci
@La propreté !
Oubliez ce cinéma alors, ce n’est visiblement pas pour vous. D’ailleurs ce n’est même pas un scénario de film à la base mais une pièce de théâtre… Les théâtraux au trou aussi pendant qu’on y est ?
Comment le cinema peut accepter des realisateurs aussi deviant mentalement ?
Stop ! Ça suffit les co**eries ! En prison dolan !