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Tremblement de terre : le film catastrophe (trop) réaliste qui a failli détruire des cinémas

Par Alexandre Janowiak
1 avril 2023
MAJ : 24 mai 2024
Tremblement de terre : photo

Tremblement de terre a révolutionné le son au cinéma avec le Sensurround, au point d'être dangereux pour la sécurité des spectateurs.

Suite à l'essor de la télévision, l'industrie hollywoodienne a tenté de moderniser l'expérience cinéma avec un certain nombre de gadgets. Le moyen, en théorie, de ne pas perdre en attractivité et de relancer l'intérêt pour le médium auprès des spectateurs. Ainsi, au début des années 60, Hollywood avait lancé le Smell-O-Vision avec Scent of Mystery, petite comédie policière qui pouvait se sentir. Une idée qui n'a pas duré longtemps au vu du fiasco du film, aussi bien critique que commercial.

Évidemment, cela n'a pas arrêté Hollywood dans sa quête d'un nouveau concept pour les films projetés sur grand écran. Et c'est ainsi que durant les années 70, bien avant le Dolby Surround, le Dolby Digital, Dolby Atmos ou l'incroyable Dolby Cinéma, est né le Sensurround, un système de son amélioré pour vivre une expérience plus immersive au cinéma. Un procédé utilisé pour la première fois avec le film-catastrophe Tremblement de terre réalisé par Charlton Heston, pour un résultat révolutionnaire, mais qui a failli être aussi tragique que le film.

 

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l'aventure du catastrophe

En 1970, un certain Airport débarque sur les écrans de cinéma. Le film raconte les différents événements se déroulant dans un aéroport américain en pleine tempête de neige et notamment le vol d'un Boeing où l'un des agers veut faire sauter l'avion avec une bombe. Porté par son casting ultra-prestigieux (Burt Lancaster, Jacqueline Bisset, Dean Martin...) et un scénario basé sur un best-seller, Airport fait alors un véritable carton auprès des spectateurs. Le box-office e la barre des 100 millions de dollars rien qu'aux États-Unis, explosant le petit budget de seulement 10 millions à l'époque.

Forcément, un tel succès donne des idées à Hollywood et notamment à Universal, producteur de Airport, qui espère réitérer l'exploit rapidement au cinéma. À l'instar des studios concurrents, Universal décide donc de chercher un scénario de film catastrophe pour surfer sur le phénomène avec l'aide du producteur Jennings Lang. Selon les écrits de Mike Davis dans l'essai Ecology of Fear: Los Angeles and the Imagination of Disaster, c'est le tremblement de terre mortel de San Fernando de 1971 qui aurait donné l'inspiration au studio : faire un film sur un séisme.

 

Airport : photo, Dean Martin, Burt LancasterAirport, le film qui a lancé le genre du film catastrophe

 

Quelques semaines plus tard, Jennings Lang et le réalisateur Mark Robson réfléchissent donc à un scénario autour d'un tremblement de terre à Los Angeles. Et pour faire mieux que le reste d'Hollywood, Lang s'offre carrément les services de Mario Puzo, écrivain et scénariste de Le Parrain, tout juste oscarisé dans les catégories meilleur film et meilleur scénario adapté. Mario Puzo rend rapidement un scénario riche et foisonnant. Trop pour Universal qui doit malheureusement faire un choix : couper le texte de Puzo ou augmenter le budget du film (seulement 7 millions de dollars) pour pouvoir le réaliser.

Universal met donc le film en pause pendant quelques mois, jusqu'à ce que L'aventure du Poséidon de la Fox fasse un carton au cinéma en 1972. Bien décidé à ne pas se faire doubler, Universal relance donc le projet Tremblement de terre, engage un nouveau scénariste (George Fox) pour pallier le départ de Puzo sur Le Parrain II et commence la production début 1974.

 

L'Aventure du Poséïdon : photoL'aventure du Poséidon, celui qui a confirmé le potentiel du genre catastrophe

 

séisme hollywoodien

Sur le papier, il n'y a rien d'extraordinaire au niveau du scénario, puisque le film suit plusieurs personnages durant le tremblement de terre et juste après, lorsqu'ils luttent pour survivre. Certes, le film a l'avantage d'être mené par un casting majeur, dont Charlton Heston dans le rôle principal, Ava Gardner, George Kennedy et même Walter Matthau (pour un simple cameo d'ivrogne). Toutefois, ce n'est pas suffisant pour se distinguer du grand concurrent, La Tour Infernale, porté par un casting tout aussi prestigieux (Steve McQueen, Paul Newman, Fred Astaire, William Holden Faye Dunaway...) et surtout son budget de 14 millions de dollars (soit le double de Tremblement de terre).

Malgré ce budget serré, Jennings Lang veut quand même faire date dans l'histoire du cinéma avec Tremblement de terre. C'est donc un tournage de grande ampleur qui se met en place. En plus de complètement chambouler les studios d'Universal et notamment la New York Street pour avoir des décors plus vrais que nature, la production du film mise énormément sur la crédibilité des séquences sismiques.

 

Tremblement de terre : photoUne scène courte, mais toujours impressionnante de réalisme (50 ans plus tard)

 

Cela e d'abord par un travail splendide sur les maquettes (la scène du camion) et matte paintings (plan général sur L.A entre autres) d'Albert Whitlock. Et plus encore, c'est la crédibilité des cascades de Tremblement de terre qui peut faire la différence. À l'époque, selon Drew Casper, dans son livre Hollywood Film 1963-1976: Years of Revolution and Reaction, le long-métrage établit carrément un record en utilisant pas moins de 141 cascadeurs tout au long de sa production. Le fait que certaines célébrités, dont Ava Gardner, réalisent leur cascade elles-mêmes renforce aussi le réalisme des séquences (même si le tremblement de terre à 9,9 sur l'échelle de Richter est lui complètement irréaliste).

Au visionnage, le résultat est plus qu'à la hauteur entre les chutes de débris écrasant des voitures, les personnes tombant de plusieurs étages, les scènes d'inondation (qui feront malheureusement un blessé grave gardé au montage) ou la scène de l'ascenseur (qui fera aussi plusieurs blessés, puisque quasiment tournée en conditions réelles). Cependant, pour que le film soit vraiment un événement, Jennings Lang et Universal veulent aller plus loin.

 

Tremblement de terre : photoLos Angeles en flammes

 

« Il [Jennings] cherchait toujours des moyens d'élargir l'expérience du cinéma. Le terme événement, qui est maintenant utilisé pour tout dans le monde, a d'abord été utilisé pour Tremblement de terre, parce que son idée était que l'industrie du cinéma devait changer et essayer de nouvelles choses. [...] Il savait que les gens avaient besoin de plus d'une raison pour sortir de leur maison », a ainsi expliqué Rocky Lang, fils de Jennings, à Red Bull Music Academy.

Dans un premier temps, le producteur et le studio envisagent carrément de faire tomber des débris en polystyrène dans la salle, avant d'heureusement faire marche arrière. Et finalement, c'est grâce au département du son que la solution va venir : la création du Sensurround. Le Sensurround fait toute l'originalité de Tremblement de terre à sa sortie puisque personne n'a jamais utilisé cette technologie auparavant. L'objectif est net et précis : faire ressentir aux spectateurs ce que vivent les personnages, soit les effets concrets d'un tremblement de terre

 

Tremblement de terre : photoDes cascades très crédibles

 

sound impact

À l'époque, il est difficile (voire impossible) d'intégrer un grondement de 35 dB plus élevés que les dialogues dans la bande sonore d'un film, ce qui empêche de générer un effet de tremblement. MCA Universal, avec l'aide de Cerwin-Vega, se débrouille donc pour créer tout un système permettant d'exploser les compteurs.

Ben Burtt, un des plus grands designers et ingénieurs son d'Hollywood, ayant bossé sur les Star Wars, L'invasion des profanateurs, Alien, concepteur de la voix d'ET et récompensé de quatre Oscars (dont deux pour une contribution spéciale et ses avancées notoires sur le son), l'explique parfaitement dans les bonus du Blu-ray de Tremblement de terre :

« Sensurround n'était pas un processus stéréo. Il ne s'agissait pas de mettre du son dans des endroits de la pièce, mais de remplir la pièce d'une grosse vibration à basse fréquence, qui venait de partout. [...] La proposition était que les gens iraient au cinéma et pourraient ressentir le tremblement de terre. Ils ont donc développé des enceintes spéciales et des haut-parleurs de subwoofer conçus pour aller dans ces enceintes afin que ce soit une installation spécifique dans le cinéma lui-même.

 

Tremblement de terre : photoLa scène de barrage qui va en engloutir plus d'un

 

Les cinémas avaient donc des amplificateurs spéciaux installés et devaient gérer la puissance nécessaire pour alimenter un haut-parleur. Mais la clé, c'était d'avoir le signal audio réel, le "grondement" lui-même. Il y avait donc un petit boîtier électronique, qui émet ce qu'on appelle un bruit blanc. Si vous l'écoutiez, ce serait une sorte de sifflement. Et il ait à travers un filtre qui enlevait toutes les hautes fréquences et était fortement amplifié. Le résultat était ce fameux grondement.

Le son réel du tremblement de terre ou l'audio Sensurround n'étaient pas sur l'impression du film lui-même. Ils étaient ainsi générés dans le cinéma par un synthétiseur spécial et ils étaient déclenchés par un signal qui était sur le film. Un signal supplémentaire que le public ne pouvait pas entendre, mais que l'équipement de la salle détectait et transmettait à ce subwoofer, pour que le boîtier Sensurround s'allume à fond. »

Avec ce système, MCA Universal réussit alors à recréer un grondement semblable à un tremblement de terre à 120 dB (soit quasiment l'équivalent d'un bruit d'avion à réaction au décollage à moins de 50 mètres). Une révolution est en marche.

 

Tremblement de terre : photoC'est John Williams qui s'est occupé de la musique pour sublimer tout ça (oui oui)

 

TO live and shake in Los Angeles

Bien sûr, les spectateurs se demandent si Tremblement de terre vaut le coup avec ce Sensurround, quelques semaines après 747 en péril (suite de Airport) et un mois avant La Tour infernale. Universal met donc le paquet sur le marketing. Sur une affiche d'avertissement, on peut notamment lire : "Sachez que vous ressentirez, verrez et entendrez des effets réalistes tels que ceux qui pourraient être ressentis lors d'un véritable séisme. La direction n'assume aucune responsabilité pour les réactions physiques ou émotionnelles individuelles des spectateurs".

Et ce n'est pas mensonger. Le Sensurround finit de convaincre le public et provoque un sacré bouche-à-oreille. "Vous sentez quelque chose se er dans votre chair et les nerfs auditifs réagissent également à la sensation. Le spectateur sent que le bâtiment tremble. Ce n'est pas vraiment le cas, mais c'est comme ça. Si vous touchez un mince mur de plâtre dans le théâtre, ou si vous touchez un siège qui contient du métal, vous constatez que les sièges vibrent réellement", a expliqué WO Watson, un des concepteurs du Sensurround avec Eugene J. Czerwinski, Richard J. Stumpf et Robert J. Leonard, à Red Bull Music Academy.

 

Tremblement de terre : Affiche d'avertissement du filmAttention, vous risquez la crise d'angoisse

 

Malgré le scénario maladroit et le trop grand nombre de sous-intrigues inutiles (l'arc du soldat réserviste), Tremblement de terre fait donc mouche lors de sa grande scène de tremblement de terre en milieu du film (débutant d'ailleurs dans un cinéma, immersion jusqu'au bout). Les spectateurs ressentent littéralement des vibrations dans leur torse au moment des séquences de séisme et l'expérience est incroyable, à en croire la majorité des retours de l'époque.

Bon, le succès technique n'était pas sans défaut puisque le système sonore était tellement puissant qu'il a failli mener à quelques catastrophes dans les salles. La première situation périlleuse s'est déroulée lors d'une projection test du film au Grauman's Chinese Theatre de Los Angeles, lorsque le plâtre du plafond s'est fissuré pendant la séance à cause du Sensurround.

 

Tremblement de terre : Photo Geneviève BujoldUne relation à laquelle on ne croit jamais vraiment

 

Pour les séances en public, le cinéma a donc rajouté un filet de sécurité sous le plafond pour éviter la chute de débris réels sur les spectateurs. D'autres cinémas auraient apparemment dû stopper le processus à cause des répercussions sur les immeubles voisins du cinéma, sur les autres séances (gênées par le son de la projection de Tremblement de terre) ou par mesure de sécurité (vu la vétusté de certains bâtiments qui auraient carrément pu subir des dégâts majeurs à cause du procédé).

Selon les souvenirs du projectionniste senior Bill Thomson, du City Screen de York en Angleterre, les gérants du cinéma où il a découvert le film avaient "dû enlever tous les verres du bar à côté de la salle parce qu'ils tombaient et se cassaient". La légende dit même qu'un hôtel luxembourgeois proche d'un cinéma aurait été évacué au moment de la diffusion du film, les clients pensant vraiment qu'un tremblement de terre avait lieu. Autant dire que le Sensurround aurait pu faire des dégâts (matériel ou humain) et c'est plus ou moins ce qui l'a mené à sa perte assez rapidement.

 

Tremblement de terre : Photo Ava Gardner, Charlton HestonEn dehors de la catastrophe, le scénario est globalement inintéressant en vérité

 

disaster zone : cinema in sensurround

Forcément, le succès a été au rendez-vous pour Tremblement de terre avec près de 90 millions de dollars amassés dans le monde, soit presque 13 fois son budget. En 1975, le film a d'ailleurs reçu deux Oscars (celui du son et des effets visuels) au nez et à la barbe de La Tour Infernale (récompensé de son côté des Oscars de la meilleure photographie, montage et chanson), l'année où Le Parrain II a été auréolé de six statuettes dont meilleur film, réalisateur et scénario (pour Coppola et Puzo, la boucle étant bouclée).

Cela dit, le Sensurround coûtait cher aux exploitants de cinéma et tous ne pouvaient pas l'utiliser pour des questions de sécurité (oui vraiment, le système était trop puissant). Et en étant aussi contraignant au niveau de la sécurité, des coûts et de la mise en place – le Sensurround demandant beaucoup d'espace, il fallait parfois sacrifier plusieurs rangées de sièges pour son installation et donc des revenus d'entrées –, la création révolutionnaire a vite perdu de son intérêt pour l'industrie.

 

Tremblement de terre : Photo Charlton HestonUn problème de canalisation dans un cinéma diffusant Tremblement de terre

 

Au final, seulement quatre autres films ont utilisé cette technologie. Il y a d'abord eu La bataille de Midway en 1976, notamment pour les moteurs d'avion, et Le toboggan de la mort en 1978 pour les scènes d'attraction. Dès ce moment-là, le Sensurround a d'ailleurs commencé à partir en cacahuète puisqu’un bout de plafond est bel et bien tombé pendant une séance de Le toboggan de la mort, écrasant une dizaine de sièges, heureusement sans faire de blessés (selon le projectionniste Thomas Hauerslev, dans in70mm.com).

L'exploitation du film a alors été stoppée dans plusieurs cinémas qui craignaient un éventuel drame. Et ainsi, l'histoire du Sensurround s'est presque arrêtée aussi vite qu'elle était née. Les deux films Battlestar Galactica (Galactica, la bataille de l'espace et Galactica : Les Cylons attaquent) en 1978-1979 ont eux aussi utilisé la technologie pour le bruit des vaisseaux spatiaux, mais ils ont été les derniers, le Dolby Stereo prenant rapidement la relève (après la magnificence de Star Wars : Un nouvel espoir en 1977).

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Ray Peterson
Ray Peterson
il y a 2 années

Aaaaah avec le grand George Kennedy, Mr film Catastrophe. J’adorais ce comédien, une vraie gueule. Un second couteau formidable auprès d’Eastwood.

Pour moi l’éternel Ed de « Y ‘a t-il un flic… » et aussi le méchant dans le formidable « Le Clandestin »
un film d’horreur avec un méchant chat dans un gentil chat.