De la boxe au ballet, il n'y a parfois qu'un pas chassé, comme en témoigne Jamie Bell.
Quand la musique est bonne, le cinéma britannique ne se fait jamais prier pour nous enchanter, et à la veille des années 2000, il abat coup sur coup deux cartes maîtresses, à savoir Les Virtuoses et The Full Monty, chacun multi-récompensé. Et comme l'adage le dit si bien : "jamais deux sans trois". C'est ainsi que Billy Elliot, premier film réalisé par Stephen Daldry, leur emboîte le pas, raflant les prix dont quatre Bafta (les Oscars anglais) et propulsant le jeune Jamie Bell sous les feux des projecteurs.
Hasard du calendrier, le film est présenté au Festival de Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs, la même année que Dancer in the dark de Lars Von Trier, sélectionné en Compétition officielle. Malgré leurs similitudes sur le papier, Billy Elliot aborde son sujet sur un mode à la fois enjoué et chaleureux, donc à l'opposé des élans turbo-dépressifs du cinéaste danois. Et entre nous, si comparaison il y a, elle est plutôt à faire avec les classiques d'animation Disney.
FRED ASTAIRE, ME VOILÀ !
Dès le générique d'ouverture, Billy apparaît à l'écran en train de voltiger dans sa chambre au rythme du morceau Cosmic Dancer du groupe T. Rex. Non seulement on salue d'emblée le goût sûr du réalisateur en matière de musique (et la suite du film le confirmera plus d'une fois), mais aussi le choix du titre dont les paroles renvoient évidemment à la situation de son jeune protagoniste : "Je dansais à 12 ans. Je dansais dans la rue. Je suis sorti du ventre de ma mère en dansant (...)". Difficile de faire plus explicite en l'état, et voir Billy s'élancer ainsi dans les airs traduit déjà chez lui le désir de voler de ses propres ailes.
Cette entrée en matière va alors structurer tout le long-métrage, partagé entre la chronique sociale qui ramène sans cesse le héros les pieds sur terre, et le conte qui le porte au contraire toujours plus haut. D'un côté, Billy évolue au sein d'une petite ville d'Angleterre où l'activité minière est la seule manne financière des habitants. De l'autre, il rêve de s'élever au-dessus de sa condition et choisit de suivre les cours de ballet de Mrs. Wilkinson (Julie Walters) plutôt que ceux de son club de boxe. Une attitude rebelle et même un peu punk qu'il revendique de plus en plus fièrement tout au long du film.
Une bouille d'ange, mais un tempérament endiablé
Entre un jeté de jambe qui l'aide à défoncer une porte ou un enchaînement de claquettes qui l'amène à marteler le sol, Billy cherche ni plus ni moins à reprendre physiquement l'ascendant sur son environnement. Chaque intermède musical devient ainsi l'occasion pour le jeune garçon de s'affranchir du carcan social et familial auquel il semble voué, à l'instar de certains héros ou héroïnes phares des productions Disney (Aladdin ou Mulan en sont des exemples emblématiques, le premier agissant comme un vaurien pour survivre à la misère, et la seconde adoptant une conduite masculine et guerrière afin de tenir tête aux hommes).
S'accomplir implique donc de lutter contre le déterminisme à l'oeuvre, et les préjugés. Oui, dans la société patriarcale et masculino-centrée qui est la nôtre, le ballet ne figure pas tout à fait au sommet de l'échelle de la virilité, et le petit Billy va en payer les frais quand son père et son frère aîné vont apprendre sa ion pour la danse. C'est aussi là que la question du genre et de l'identité se pose dans Billy Elliot, et la grande intelligence de Daldry et du scénario est d'éviter les raccourcis faciles, en montrant notamment qu'il n'existe aucune ambiguïté sur l'orientation sexuelle du héros, à l'inverse de celle de son meilleur ami, à l'évidence amoureux de lui.
Puisque sans contrefaçon, je suis un garçon
MA FAMILLE A PAUVRE MINE
Que l'année 1984 serve de toile de fond à l'éveil artistico-spirituel du héros n'est en rien le fruit du hasard puisqu'elle correspond à la grève des mineurs en Angleterre, épisode majeur pour le pays. Juxtaposer ainsi la petite et la grande histoire redouble le combat à mener pour Billy, mais aussi pour chacun des membres de sa famille, à commencer par le père et le frère aîné, grévistes forcenés. Et la très belle idée est d'associer leur insoumission au régime de Margaret Thatcher, qui entend ni plus ni moins anéantir l'industrie du charbon, à l'impossibilité de faire leur deuil suite à la mort de la mère de Billy.
La famille en crise est là encore un motif incontournable des contes ayant fait la gloire des dessins animés Disney, et la patine un brin grisâtre du film, devenue une modalité esthétique dans le cinéma anglais "à la Ken Loach" (donc pro-classe ouvrière), accentue la détresse des personnages.
Elle n'est pas vraiment anodine alors que Billy vagabonde dehors et cherche à prendre littéralement de la hauteur, en grimpant sur les toits par exemple, quand sa famille, elle, reste le plus souvent cloîtrée et prostrée à la maison. C'est toute la différence entre l'espoir fougueux qu'incarne le héros et le désespoir apathique de ses proches qui, à l'occasion, manifestent contre les forces de l'ordre (et quand les coups pleuvent, on sent gronder le révolutionnaire en nous, mais rassurez-vous, ça se soigne).
Avant même que la grogne populaire ne monte, Billy, lui, choisit d'éluder l'arrière-plan militaire qui parasite la ville. Il suffit de le voir er tranquillement dans la rue devant une enfilade de policiers droits comme des piquets pour comprendre qu'il ne craint pas l'autorité. Et sa capacité à occulter tout ce déploiement armé au profit de sa ion va peu à peu inf au sein de son foyer, amenant son père et son frère aîné, même si on n'oublie pas la grand-mère amnésique, à ouvrir les yeux sur l'importance d'être unis face à l'adversité.
Tout le dispositif de mise en scène de Daldry repose ainsi sur le rassemblement progressif des membres de la famille dans un même espace, en l'occurrence le salon de la maison, centre névralgique de toutes les tensions. Au départ isolés chacun de leur côté, ils vont tous finir par converger les uns vers les autres grâce à la danse et à la musique. Cela prend déjà forme lors d'une séquence en montage parallèle où Billy, son père, son frère aîné et sa grand-mère semblent réagir ensemble et à distance au morceau I love to boogie de T. Rex (oui, encore eux, et on ne s'en plaint pas). Cela culmine enfin quand la famille au complet attend de savoir si le jeune garçon a réussi son audition.
BRITISH PERFORMANCE
Si Billy est une source d'inspiration pour ses proches (et la plupart des jeunes spectateurs), son interprète devait l'être aussi pour toute l'équipe du film. Choisi parmi plus de deux mille candidats, Jamie Bell s'est très vite imposé malgré la lourde tâche qui lui incombait. "Le calendrier de tournage a été un cauchemar; nous n'avions que sept semaines. Les enfants ne peuvent travailler qu'entre 9 heures et 17 heures, et sont exemptés de tourner les samedis. Le personnage de Billy devait danser tout le temps. Donc c'était serré", racontait Stephen Daldry dans une interview pour le site Indiewire.
Au-delà des ressemblances de parcours entre l'acteur et son alter ego fictif, Jamie Bell venant également du nord-est de l'Angleterre et ayant des dispositions en danse, le rôle lui-même renvoie à la figure du jeune prodige mû par une vocation et guidé par un mentor/parent de substitution, en l'occurrence ici Mrs. Wilkinson. Et on exagère peut-être (ou pas), mais on reconnaît là à nouveau une constante chère aux classiques d'animation Disney, où le protagoniste doit compter sur les conseils avisés de son ange gardien afin d'accomplir son destin (Mowgli avec Bagheera, Hercule avec Philoctete ou Jim Hawkins avec Silver, la liste est longue).
Plus Billy s'entraîne avec sa professeure, plus il se livre au monde, et cesse de danser uniquement à l'intérieur du cadré étriqué de sa chambre, comme c'était le cas durant le générique d'ouverture. Le film devient alors sa success-story, respectant le schéma type du héros qui attire lentement, mais sûrement, les regards sur lui. Et chaque nouvelle chorégraphie fait grossir les rangs de son public, marquant une étape supplémentaire dans la fascination qu'il exerce autour de lui. C'est d'abord Mrs. Wilkinson qui le repère, son père ensuite, le temps d'une démonstration aussi épique qu'émouvante, puis le jury d'un concours pour lequel il auditionne et enfin, une salle entière venue l'irer sur scène une fois adulte.
Dans un tout autre genre évidemment (quoique), Black Swan parvenait aussi des années plus tard à faire de son héroïne le pinacle du spectacle avec sa fameuse dernière réplique : "J'étais parfaite !". Que le ballet de Tchaïckovsky, Le Lac des cygnes, serve d'écrin à la représentation finale qui clôt Billy Elliot ajoute bien sûr à l'effet-miroir entre les deux films. Mais à l'inverse d'Aronofsky, Daldry ne rend pas son protagoniste moins attachant ou humain à mesure qu'il performe. Au contraire, son talent et l'empathie qu'il suscite grandissent de concert.
À la fois naissance d'un héros inspirant et d'un comédien inspiré, Billy Elliot trouve donc le ton adéquat entre la réalité historique et le conte. Stephen Daldry sera tellement enthousiasmé par le succès du film qu'il l'adaptera en comédie musicale ensuite, révélant un autre jeune acteur dans le rôle-titre en 2008, à savoir Tom Holland (eh oui, c'est là que sa carrière a commencé). Et si certains préfèrent cette version "sur les planches", on ne peut s'empêcher de retourner vers celle pensée pour le grand écran.
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l’ Envol final, visuel et musical ……!!!
Ce film est une merveille.
Voilà… ^^’
Les méfaits de l’Angleterre de Thatcher à travers des films légers à la fin des années 90 et au début des annnées 2000. Billy Elliot a par rapport aux Virtuoses et à Full Monty l’intérêt d’aller plus loin et de rester une oeuvre hors époque. Et il reste bien plus facile d’accès que la très bonne Red Riding Trilogy.
Billy Elliot un film de 2000 qui parlait de social et qui abordait de façon très subtile et intelligente la différence. Différence du gamin qui dans son milieu devrait faire de la boxe comme les garçons de son age et non de la dance comme les filles de son age. Et aussi la différence du copain qui se « déguise » en fille et se maquille. Il fut un temps où tout ces sujets ne faisaient pas l’objet de check list artificielles et de case à cocher pour avoir une meilleur note auprès des fonds de pensions et bien se faire voir de certains militants. Quand au discours sur la lutte sociale il a disparu pour de bon. Peut-être que ce n’est plus le sujet aujourd’hui comme ce fut le cas pour les générations précédentes. Au moins les plus jeunes n’auront pas connue cette horrible femme obtue et schizophrène se dénommant Margaret Thatcher. Pas sur qu’ils y voient toutes les subtilités et les messages de ce très beau film.
Jamie Bell est un acteur ionnant et un des rares qui me pousse à regarder un film quelque soit le sujet.
Pas le succès qu’il mérite