Godzilla Minus One piétine tout sur son age, aussi bien au box-office japonais qu'occidental. Retour sur un succès monstrueux.
Le 10 mars 2024, Godzilla Minus One devenait le premier film de la franchise à remporter un Oscar, ainsi que le premier film japonais à remporter l'Oscar des meilleurs effets visuels. Une victoire largement médiatisée, qui vient en réalité couronner un parcours impressionnant au box-office, ayant largement déé la niche des amateurs de tokusatsu, ou même de cinéma nippon.
Plus qu'un phénomène culturel exceptionnel, sa popularité s'inscrit dans un contexte de timide remise en question du soft-power américain sur le terrain du divertissement cinématographique. Après le coup d'éclat de RRR, il en est même désormais un symbole, alors qu'une bonne partie du grand public se tourne vers l'industrie asiatique. Comment le roi des monstres a-t-il conquis le monde ?
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Le retour d'une icône
Au Japon, un nouveau film Godzilla est souvent un évènement, notamment depuis Shin Godzilla, le come-back du lézard géant après plusieurs années d'absence en 2016. Le long-métrage de Shinji Higuchi et Hideaki Anno avait été un vrai succès et surtout une référence, puisqu'il avait gagné sept prix aux Japan Academy Prize, la grosse cérémonie de récompenses nationale. Pas encore vraiment les Oscars, et c'est tout le sujet : le film restait, comme beaucoup de ses prédécesseurs, trop exotique pour conquérir le public occidental au-delà des cercles d'amateurs. D'autant que son cousin américain continuait à lui faire de l'ombre. Godzilla cartonnait, mais restait une particularité japonaise.
Il a fallu plusieurs années à la Toho (légendaire studio derrière le Kaiju) pour proposer non pas une suite, mais une nouvelle version, qui reviendrait aux thématiques de l'oeuvre originale tout en respectant le cahier des charges du grand spectacle, tranchant avec l'approche complètement expérimentale de l'auteur d'Evangelion, que tant d'Occidentaux avaient rejeté. La recette était parfaite, et elle s'est avérée lucrative, d'abord à l'intérieur des frontières japonaises.
Godzilla oblitère le box-office japonais
Au Japon donc, Minus One s'est bien évidemment placé tout en haut du box-office dès sa sortie le 3 novembre 2023, battant même, selon la Toho, Shin Godzilla avec 640 000 entrées sur trois jours. Les premières 24 heures, il amassait l'équivalant de 3 millions de dollars, c'est à dire plus que n'importe quel film de la franchise, versions américaines comprises. Selon Comicbook, il aurait fait le triple de Godzilla vs. Kong sur cette période.
Et il ne s'est pas arrêté en si bon chemin : le 4 mars 2024, le compte Twitter de la Toho annonçait fièrement avoir déé la barre des 6 milliards de Yen, soit l'équivalant de plus de 41 millions de dollars US, ce qui en fait tout simplement le plus gros film en prises de vue réelles de 2023. Monstrueux.
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— 東宝映画情報【公式】 (@toho_movie) March 4, 2024
国内興行収入60億円突破!
2023年度 実写映画ランキング1位!
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????大ヒット上映中
映画『#ゴジラ-1.0』
3/3(日)までの公開から122日間で
◇観客動員:3,924,020人
◇興行収入:60.1億円突破!
《#山崎貴 監督コメント》… pic.twitter.com/5Y4UzMJuGS
La question du budget
Un triomphe total dans son propre pays, anticipé par le studio, mais peut-être pas à ce point. Minus One était taillé pour conquérir le Japon, principalement. Et il bénéficie d'un budget qui ne se situe pas du tout dans les standards américains délirants. Le nombre exact est encore secret, mais il est possible de se faire une idée.
En effet, une fois qu'il a commencé à faire parler de lui aux États-Unis, des médias ont tenté de faire des estimations, impressionnés par la qualité des effets spéciaux dans ce qui reste malgré tout une superproduction locale. Le 14 novembre, le réalisateur Takashi Yamazaki démentait sur Twitter avoir bénéficié d'un milliard de yens (un peu moins de 7 millions de dollars), sous-entendant qu'il avait eu beaucoup plus. Le 22 novembre, Variety sortait une critique comportant le chiffre de 15 millions de dollars, chiffre repris par la quasi-intégralité de leurs confrères.
Yamazaki a une fois de plus démenti, s'amusant à la Comic Con de Tokyo : "Si seulement c'était autant". Depuis, les estimations se multiplient aussi bien côté japonais qu'américain. En synthétisant leurs tâtonnements, on peut sans trop prendre de risque avancer une fourchette allant de 10 à 14 millions de dollars, montant ahurissant quand on compare le résultat final à certains blockbusters US. Sans rentrer dans le détail ou éplucher – comme certains l'ont fait – les lois locales sur le travail, il faut bien souligner que le modèle économique du film est taillé pour l'échelle japonaise, n'ayant pas à s'encombrer par exemple des multiples réseaux de sous-traitants qui gonflent les factures hollywoodiennes.
Ceci étant dit, c'est justement ce mode de production qui a ébloui le monde entier, et prouvé qu'on pouvait techniquement s'en sortir plus que bien sans déer le cap des 100 millions de dollars. Le petit jeu des comparaisons est aussi drôle que cruel : Aquaman 2 a coûté au moins 14 Minus One, Mission : Impossible 7 en a coûté 20, et Fast X en a coûté 24. De fait, au moment où il est parvenu à déer le système japonais pour lequel il a été pensé, il n'a pu que dégager des marges colossales.
Godzilla écrase la concurrence
Godzilla piétine les Américains
Car contrairement à son prédécesseur, Godzilla Minus One est bel et bien parvenu à s'exporter, et pas qu'un peu. Au États-Unis, il est typiquement ce qu'on appelle un "sleeper hit", soit un succès qui se construit lentement, mais sûrement. Il est sorti sur place le 1er décembre dans 2 308 salles (contre... 34 pour Shin Godzilla en 2016) et s'est d'emblée placé 3e du box-office derrière Hunger Games et... le concert de Beyoncé.
Bouche-à-oreille oblige, il n'a jamais déé les 50 % de perte entre les semaines et est même resté solide sur une très longue période. La semaine du 29 décembre, il a perdu 785 salles... Mais seulement 13,8 % de fréquentation ! Son dernier week-end d'exploitation, le neuvième, fut un véritable bouquet final : il a retrouvé plus de 2000 salles et a amassé 2,7 millions de dollars.
En tout et à force de faire couler de l'encre, le long-métrage a rapporté 56,4 millions de dollars chez l'Oncle Sam, ce qui est non seulement supérieur au score nippon, mais aussi le plus gros carton américain de l'histoire pour un film japonais, animation comprise. Il est à deux doigts du top 50 américain de 2023, devant The Creator ou Gran Turismo, et il a indéniablement créé un précédent. Propulsé par d'excellentes critiques outre-Atlantique, Big G a conquis simultanément les deux grands pôles de la culture populaire, grappillant même quelques millions supplémentaire dans d'autres marchés.
En Europe par exemple, il a été récupéré par le distributeur spécialisé dans les sorties évènementielles Pieces of Magic. En , il est sorti pendant un week-end seulement, avant que la demande écrasante ne pousse la structure à lui accorder deux semaines supplémentaires en janvier. En tout, ce sont 175 579 curieux qui ont vibré au rythme du rugissement du roi des monstres. À titre de comparaison, Shin Godzilla n'avait eu droit qu'à quelques projections évènementielles et à une sortie en vidéo... en 2024, soit plus de 7 ans après.
Shin Godzilla, un poil plus exigeant
Mi-mars 2024, Godzilla Minus One a cumulé plus de 105 millions de dollars dans le monde, ce qui lui donne une place dans le top 50 2023 aux côtés de The Creator et de... Pathaan (mais derrière Le Garçon et le Héron, qui a encore plus cartonné à l'international). À ce stade, plus besoin de détailler les budgets marketing (probablement élevés pendant la campagne des Oscars) ou les pourcentages perçus par diverses entités : Minus One est un monumental carton, qui devrait a priori motiver des suites et booster la popularité du Kaiju... côté japonais.
Legendary devant le tableau du box-office
La fin de l'hégémonie américaine ?
Car cette exportation massive d'une production destinée au public local s'inscrit bel et bien dans un mouvement de résistance des blockbusters non américains. En 2022, c'était l'incroyable RRR qui prenait d'assaut les multiplexes occidentaux, allant jusqu'à lui aussi remporter un Oscar dans une catégorie jusqu'ici réservée aux Américains. Lui avait amassé 166,6 millions de dollars à travers le monde. Et il est loin d'être le seul : les grosses fresques chinoises s'exportent de plus en plus, les différentes industries indiennes atteignent au moins une fois par an un public plus large que les diasporas habituelles (Pathaan, Jawan cette année)....
Le phénomène commence à être documenté, mais coule de source : face à une industrie hollywoodienne qui gaspille des sommes indécentes pour tenir des délais au détriment de la qualité des effets spéciaux, le grand public se trouve une alternative, à savoir les superproductions étrangères, qui bénéficient parfois d'un rendu comparable (le dernier Wandering Earth ressemble à s'y méprendre à un blockbuster US) sans pour autant casser à ce point la tirelire. Les très hauts budgets d'autres pays... deviennent des prouesses techniques magistrales dans un milieu qui n'hésite pas à jeter à la poubelle des films à plus de 80 millions de dollars.
RRR, qui a aussi pris d'assaut le box-office US
Le cas de Minus One a vraiment tourné les projecteurs vers cette tentation, d'autant que comme RRR et bien d'autres films du genre, il bénéficie d'une bien meilleure presse que ses concurrents yankees. Mais surtout, il expose toute la symbolique qu'elle implique. Sérieusement handicapée par la pandémie, la dernière aventure américaine de Godzilla avait péniblement déé la barre des 100 millions de dollars au box-office domestique, avec un budget estimé entre 150 et 200 millions de dollars !
Autant dire que si Godzilla x Kong : Le nouvel Empire, nouvel opus du Monsterverse, sous-performe début avril, le message sera clair : le grand public américain commence à sérieusement s'intéresser au soft-power étranger, quand bien même il puise dans la culture locale (RRR décolonisait l'inde à coup de mandales dans la gueule). Et s'il sur-performe, émulé par le phénomène Minus One, ça sera le signe que le roi des monstres n'est pas près de descendre de son trône.
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Le film marche très bien au Japon mais ça reste loin loin des plus gros succès du box-office japonais, c’est surtout le score US le plus spectaculaire.