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En mai 2020, alors que les salles de cinéma étaient fermées, les plateformes de streaming en profitaient pour mieux s’installer en Inde. Et c’est sans aucun doute Amazon Prime Video qui frappait le plus gros coup en sortant Paatal Lok. Ce phénomène instantané a rapidement été placé en tête des plus grandes séries indiennes jamais produites. On oscillait entre une enquête tortueuse, un propos politique radical, des personnages torturés et des flics violents. Des éléments qui ont poussé certains critiques à parler de True Detective à l’indienne.
Malgré un véritable triomphe public et critique, le scénariste Avinash Arun ne se sont pas précipités pour capitaliser sur la popularité de leur série. Cinq ans plus tard, nous découvrons enfin cette saison 2 tant attendue. Pour cette toute nouvelle enquête, Hathi Ram Chaudhary et Imran Ansari doivent résoudre le meurtre particulièrement violent d’un politicien dans le nord-est de l’Inde.

Avant d’être un réalisateur acclamé, Avinash Arun faisait partie des directeurs de la photographie les plus influents du cinéma hindi. Son sens de l’esthétique se retrouve dans chaque plan. Entre les deux saisons, le cinéaste a travaillé sur le sublime long-métrage Three of Us et il semble avoir progressé encore un peu plus dans l’intelligence de sa mise en scène. De son côté, le scénariste Sudip Sharma continue d’être l’âme de la série en jonglant parfaitement entre le suspense insoutenable et le drame humain terrassant.
Le casting vient compléter la réussite totale du projet. Déjà brillant en première saison, Merenla Imsong, qui hérite probablement du personnage le plus difficile à incarner.
FIRE WALK WITH HER
Si la première saison de Paatal Lok nous plongeait immédiatement au cœur d’un récit intense, cette nouvelle enquête fait le choix surprenant de prendre son temps. Sudip Sharma consacre les deux premiers épisodes à nous présenter les très nombreux enjeux et personnages avant que les choses sérieuses ne commencent. Le premier point fort de cette saison est cependant de ne jamais tomber dans l’exposition superficielle ou les dialogues inutilement explicatifs. Tout se fait avec une fluidité exemplaire dans la narration.
Une fois lancé, le récit s’avère encore plus impitoyable que la saison précédente. Difficile de ne pas penser au modèle Twin Peaks quand on se retrouve enfin dans les montagnes du nord-est de l’Inde. La série nous place en immersion au sein d’une petite communauté où tout le monde a des secrets et où chaque secret découvert est plus terrifiant que le précédent. Sans oublier l’ombre d’une mystérieuse et tragique Rose Lizo qui plane sur toute la saison à la manière de Laura Palmer.
Que ce soit dans son intensité captivante, ses rebondissements machiavéliques et jusque dans son dénouement trouble, Paatal Lok saison 2 tient toutes ses promesses de nous offrir une enquête ionnante. Une expérience folle qui ne peut que ravir les amateurs de polar sombre et tortueux. Mais la série a pour ambition d’être bien plus qu’un simple divertissement visant à offrir quelques frissons bien placés.
D’autant que l’essentiel du suspense ne se trouve paradoxalement pas dans la résolution de l’enquête. On a forcément envie de connaître le potentiel coupable mais c’est avant tout l’identité des victimes qui importe. Qui sont ces gens ? Pourquoi sont-ils morts ? Et surtout, qui va mourir en chemin ? Tout le suspense de Paatal Lok repose sur la certitude terrifiante que n’importe qui peut se faire tuer de la façon la plus impitoyable, même les personnages principaux.

UNE SÉRIE QUI SE TIENT SAGE
Dans la droite lignée de sa première saison, Paatal Lok nous rappelle sa capacité à être une très grande œuvre de divertissement mais également une incroyable série politique et militante. En changeant drastiquement de région, cette deuxième saison s’intéresse tout particulièrement à l’État méconnu du Nagaland. L’occasion de rappeler à quel point le gouvernement centralisé a négligé le nord-est du pays et ses minorités ethniques.
Toute la saison vient explorer en profondeur la réalité de cette région. Entre les violences policières et économiques, les discriminations au faciès ou encore les insurrections indépendantistes, le propos politique est d’une complexité rare. Il y a quelque chose de déchirant à voir une série embrasser les mêmes thématiques sociales que Dil Se de Mani Ratnam vingt-sept ans plus tard et de constater que la situation n’a fait qu’empirer avec le temps.

Sudip Sharma et Avinash Arun en profitent également pour prolonger une réflexion qui était au centre de la première saison, à savoir le lien terrifiant entre embrigadement et violences sexistes et sexuelles. Un recrutement qui peut être politique, religieux ou communautaire. Quel qu’il soit, son but est systématiquement de permettre au patriarcat d’asseoir sa position en écrasant les femmes. En ce sens, Rose Lizo est particulièrement tragique parce qu’elle vient porter à elle seule toutes les formes d’oppressions imaginables.
La série brille enfin dans sa façon de mettre en scène les différentes minorités. Ainsi les rituels des Nagas sont filmés avec respect et humanisme. Et comment ne pas mentionner la séquence de coming-out en milieu de saison, un sommet de douceur et de pudeur comme le cinéma hindi n’en avait probablement pas vécu depuis Kapoor & Sons. Selon la cosmologie hindoue, le Paatal ou Patala désigne les régions infernales qui sont peuplées de serpents et de démons. La force de Paatal Lok c’est de nous montrer qu’il y a toujours une lueur d’humain au milieu de l’enfer.
La saison 2 de Paatal Lok est disponible en intégralité depuis le 17 janvier 2025 sur Amazon Prime Video.
Critique qui fait forcément très envie. (je suis justement en plein en train de me refaire la mère de toutes les séries actuelles (forcément exagéré mais mérité)).