Films

Melancholia, Dogville, Antichrist… Lars Von Trier, génie ou arnaque ?

Par La Rédaction
18 octobre 2018
MAJ : 21 mai 2024

D’Epidemic à The House That Jack Built, Lars Von Trier déchaîne les ions. La rédaction donne son avis sur quelques uns de ses films majeurs.

The House That Jack Built : photo

Petit retour sur l’iconoclaste Lars von Trier, aussi adulé que détesté.

En 13 films et une trentaine d’années, Lars von Trier s’est forgé, intentionnellement ou non, une carrière peu commune. Insulté et encensé, méprisé et adulé, tour à tour soutenu et assassiné par la presse, récompensé à Cannes par une Palme d’or puis décrété persona non grata par la suite : le cinéaste danois ne e pas inaperçu, et ne laisse personne insensible.

Né avec des films obscurs, popularisé avec le Dogme 95 qu’il a lancé avec Nymphomaniac… chefs d’oeuvres ou arnaques, la question se repose quasi à chaque fois.

The House That Jack Built, l’un des films les plus attendus de l’année, ne devrait pas faillir à sa réputation, et divisera sans surprise le public. L’occasion pour la rédaction de revenir sur son rapport au réalisateur, en choisissant le meilleur et le pire de ce bon vieux Lars.

 

 

Alexandre Janowiak

LE MEILLEUR : MELANCHOLIA

Présenté en compétition au festival de Cannes 2011, le film de propos confus sur le régime nazi et qui l’ont sans doute empêché d’obtenir la Palme d’Or. Nul doute en effet (à part Simon) que le long-métrage est une des merveilles du cinéaste, si ce n’est sa plus belle oeuvre.

Ce prologue au ralenti, succession de tableaux empruntants aux plus grands peintres modernes (John Everett Millais, René Magritte), romantique (Caspar David Friedrich), baroque (Le Caravage) et surtout de la Renaissance (Pieter Brueghel et Lucas Cranach), porté par le Tristan et Isolde de Wagner, est le prélude à un long-métrage d’une beauté époustouflante. L’annonce évidente d’une époque bientôt révolue où le temps s’arrêtera définitivement pour laisser place à un silence terrifiant. L’angoisse est réelle dès les premiers instants de Melancholia.

 

photo, MelancholiaLars Von Trier sur le tournage

 

Une angoisse qui marque l’impuissance de l’homme face à son destin et qui laissera découvrir au fur et à mesure la personnalité lâche, courageuse, généreuse, stressée, désolée, résignée ou apathique des personnages du récit. Le moyen pour Lars von Trier d’offrir une quantité d’émotions aux spectateurs, en plus de subtils portraits psychologiques et de réflexions sur le deuil, l’oubli, la mort et l’extinction de l’humanité.

Devant la séquence finale de Melancholia, d’une puissance remarquable, on en vient d’ailleurs à penser que l’héroïne Justine incarnée par Kirsten Dunst est finalement un miroir de LVT. Comme elle, il ne semble plus porter grand espoir dans le monde qui l’entoure, et à défaut d’être heureux de le quitter, ce serait presque un soulagement qu’il soit enfin détruit.

 

photo, Kirsten DunstMelancholia : une oeuvre à couper le souffle

 

LE PIRE : LES IDIOTS

Les Idiots est le premier film de Les Idiots – deuxième oeuvre du Dogme95, sorti quelques mois après le premier Festen – est extrêmement atypique avec ses choix esthétiques (ou l’absence de choix justement).

Caméra tremblante, prises sonores approximatives, décors naturels, mise en lumière minimale et structure narrative ultra basique, le long-métrage répond à des règles pas inintéressantes mais plutôt bancales. A dire vraie, en voulant les respecter à la lettre, Lars von Trier s’enferme dans un cadre trop rigide qui vient justement contredire l’ensemble des règles de son Dogme95. Et concrètement, nul doute que les idées du Dogme95 se révèlent un exercice de style intéressant à pratiquer mais profondément ennuyeux à regarder.

Présenté comme étant « Un film par des idiots, sur des idiots, pour des idiots », le long-métrage est donc surtout une belle esbrouffe. L’idiotie est tristement limitée à l’imitation du handicap mental par une bande de soi-disant anti-bourgeois et le présumé propos révolutionnaire des Idiots se révèle finalement bien conformiste.

 

PhotoBlanches fesses et les 95 idiots

 

Prescilia Correnti

LE MEILLEUR : EPIDEMIC 

Sorti en 1987, Lars von Trier quelques jours après la sortie. 

Pourtant dans Niels Vørsel jouent sans cesse avec les limites de la forme. Ils se mettent eux-mêmes en scène dans une mise en abîme, jouant sur le frontière fragile entre l’exercice de style et la provocation bête et méchante. Le cinéaste va même pousser le curseur de l’expérimental, esthétiquement avec le titre de son film affiché pendant la quasi-intégralité de son film, mais aussi au niveau narratif.

 

photo, EpidemicLars lui-même

 

Au fur et mesure de l’avancée du long-métrage, les niveaux de réalité s’entremêlent pour se perdre. L’exemple le plus percutant réside encore une fois dans le titre de son film qui est omniprésent – à la fois dans les scènes de fiction et celles de la vie réelle entre Niels Vørsel. Il est impossible à rater, sa couleur rouge sang attirant indéniablement l’attention face aux tonalités noires et blanches de son film. Beaucoup écriront plus tard qu’il s’agissait d’une sorte de référence au sida, la marque du logo étant apparentée à celle d’une maladie, d’une contamination épidémique, qui se répand pour ne plus jamais partir.

On pourrait aussi rajouter que les difficultés liées aux impératifs d’ordre financier et aux deadlines précises des producteurs n’ont fait qu’augmenter l’insatisfaction du duo. Une fois accumulées, ces frustrations et contrariétés déplaisantes peuvent être destructrices. Lars von Trier s’en remet alors à l’imaginaire, à l’horreur et à l’irrationnel. Il ouvre le age d’une dimension à une autre. De la fiction à la réalité. Pour qu’au final, le mal explose à la figure de tout le monde.

 

photoLVT aime torturer les femmes, allez savoir pourquoi

 

LE PIRE : ANTICHRIST

Comme beaucoup d’autres films de Antichrist est digne des 12 travaux d’Hercule. Tourné dans un noir et blanc moderne, on y voit un couple s’adonner au plaisir de la chair, en gros et très gros plans, en ralenti, pendant qu’un enfant réussit à déjouer la sécurité de son berceau et s’approcher dangereusement de la fenêtre.

Puis, au moment de la jouissance et du plaisir extrême, accentué par le faciès de Charlotte Gainsbourg, c’est le drame : l’enfant tombe et meurt. Il y a là, tant de désinvolture de la part du cinéaste dans la mise en scène et le montage, que l’horreur de la mort d’un jeune bambin est plus irritante que bouleversante.

 

chaos reignVon Trier, allégorie

 

Ensuite, c’est encore pire. Dogville), mais au final il ne livre qu’un film au nombrilisme perturbant.

On sait au moins depuis Lars von Trier. Au final, son oeuvre se révèle juste pompeuse.  

 

photo, Charlotte GainsbourgVomir son deuil (et son cinéma)

 

Geoffrey Crété

LE MEILLEUR : DOGVILLE 

Que Dogville reste donc un objet à la croisée des chemins.
 
C’est aussi l’un des plus grands films du réalisateur, voire le plus grand. Réduit à une épure absolue, loin des effets de Dancer in the Dark et sa scène aux 100 caméras, le cinéma de Lars Von Trier garde l’essentiel : les visages, les humains, et les monstres qui s’y cachent. En racontant le quotidien d’une mystérieuse ville nichée dans les Rocheuses (quelle ironie, vu le décor vide), bouleversé par l’arrivée d’une inconnue qui cherche refuse, il rejoue des motifs qui le ionne : le sacrifice, les luttes de pouvoir, et l’individu écrasé par la société. En balayant tout pour ne garder que l’indispensable, il pousse plus loin encore l’intention du Dogme 95 : il n’y a qu’un espace vide, qui semble infini, où est tracé le décor.
 
 

Manderlay, la suite de Dogville

 
La magie fera le reste. Le bruitage créé la porte que le mouvement de l’acteur joue, l’énergie fantastique de la mise en scène créé un sentiment d’urgence et de vie sidérant, et au fil de presque trois heures captivantes, c’est une allégorie de la société entière qu’il met en scène, avec un regard d’une noirceur à toute épreuve.
 
Au milieu d’un casting sensationnel (Dogville une réussite absolue.

 

photo, Nicole Kidman L’un des meilleurs rôles de Nicole Kidman

 

LE PIRE : THE HOUSE THAT JACK BUILT 

L’impression que la machine tourne à vide avec ce film centré sur un tueur en série, incarné par Matt Dillon, qui raconte ses exploits en quatre « incidents ». Peut-être pour la première fois, le réalisateur semble avoir pris un gros recul sur son cinéma et ses obsessions, et prend un malin plaisir à les interroger et les moquer, allant jusqu’à injecter des images de ses précédents films lors d’une scène qui questionne l’art. Un pied de nez adressé à ses détracteurs, et une attitude de petit malin se jouant de son ego, qui semble un brin stérile.
 
L’énergie qu’il met de ce côté, The House That Jack Built la perd ailleurs. Ainsi, le film laisse une amère sensation de vide durant sa première moitié, comme si la scène de théâtre était désertée. Puis tout s’accélère dans la dernière ligne droite, qui lance à la face du spectateur le discours et la raison d’être de ce numéro mi-sanglant mi-grotesque.
 
Le monde de The House That Jack Built est traversé par quantité d’idées et motifs, bien connus de ceux qui suivent son cinéma, mais ils semblent tous s’écraser sur un triste mur. Et tel Jack, ils sont voués à disparaître dans un vain soupir, sans ion, comme si le guerrier Von Trier avait rendu les armes, derrière ce faux cri d’horreur et de violence.
 
 

Photo Matt Dillon, Sofie GråbølMatt Dillon et la poupée Riley Keough

 

Simon Riaux

LE MEILLEUR : BREAKING THE WAVES 

Il est d’autant plus sidérant de revoir Breaking the Waves aujourd’hui qu’on aura facilement oublié la virtuosité du film. Ce dernier contient quasiment tous les motifs de son auteur, en condense les grands gestes esthétiques. Tragédie érotique, drame charnel autant que réquisitoire contre les structures morales de son époque, Breaking the Waves embrasse aussi bien la crudité des Antichrist.

C’est aussi le mariage, impossible, violent et ionnant entre le cinéma danois et une veine surréaliste évidemment espagnole. On assiste ainsi à une sorte de duel entre Carl Theodor Dreyer, certes un peu théorique, mais ionnante pour le cinéphile. De cette confrontation naît un récit qu’on aurait tort de vouloir enfermer dans un sens unique, ou dans une critique univoque de tel ou tel système de valeur. Ici, esthétique et politique s’affrontent, sans jamais empiéter sur la pure narration, entamant une danse singulière et hypnotique.

Au-delà de la force symbolique brute du récit, porté par la fantastique Emily Watson, il est fascinant de constater combien Lars Von trier parvient, d’un récit qui manie presque anarchiquement le symbolisme religieux, à arriver à un substrat mythologique fort, qui assume jusqu’à ces questionnements les plus troubles. Peut-être la proposition la plus étincelante du réalisateur.

 

photo L’une des nombreuses images mémorables 

 

LE PIRE : MELANCHOLIA 

On vante souvent les accomplissements esthétiques de Melancholia, tonitruants dès l’ouverture du film. Et si Von trier s’amuse manifestement à allier hsitoire de l’art et fin du monde, l’opposition semble aussi factice que répétitive. D’un point de vue narratif, la pureté du procédé se casse aussi les dents sur les intentions ou influences manifestes du cinéaste. On e ainsi d’un sous-Festen interminable durant la première partie, à un jeu de détestation voire de pur mépris des protagonistes pendant la seconde.

 

MelancholiaLars Von Trier dirige Kirsten Dunst et les autres

 

Bien sûr, le formalisme, l’élégance de certains plans, peuvent pousser à l’iration, et à première vue, Kiefer Sutherland).

La misanthropie de Von trier tourne à plein régime et si on le sent désireux de fouler au pied un univers qu’il juge vil et des humains qu’il méprise, sa complaisance, la joie mauvaise qui infuse dans chaque plan et finalement la bassesse qu’il laisse contaminer jusqu’à sa mise en scène, achèvent de faire du métrage une proposition aigre, ramassée sur elle-même.

 

 

 

Rédacteurs :
Tout savoir sur Melancholia
Vous aimerez aussi
Commentaires
Veuillez vous connecter pour commenter
6 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
dies irae
dies irae
il y a 6 années

Element of crime , Medea , Breaking the waves , Dogville, Melancholia sont 5 chefs d’œuvres absolus. Dancer in the dark est double: d’un côté un chef d’oeuvre de Bjork , de l’autre une horreur malsaine de LVT. Le reste j’ai pas encore vu.

Den the gun
Den the gun
il y a 6 années

« Melancholia » , « Dogville » , en premier .
« Epidemic » m’avait laissé une sacrée impression à l’époque , au même titre qu’Element of crime .

jim
jim
il y a 6 années

Dirty Harry merci de souligner the kingdom qui est une excellente série !

Stivostine
Stivostine
il y a 6 années

Nymphomaniac, son meilleur film en version uncut (*_*)

Dirty Harry
Dirty Harry
il y a 6 années

Plutôt d’accord avec les choix des rédacteurs : « Dogville » son chef d’oeuvre, rien ne peut le détrôner je pense : audace formelle (et pourtant ce n’est pas du theatre filmé) et propos d’une profondeur (noire) sur l’être humain digne des plus grands génies. « Melancholia » belle pièce de cinema, plus rigoureuse qu’antechrist qui, à part son renard, ne propose pas grand chose. Epidemic est très interessant, faut que je le revoie mais il fait partie des films « one shot » du réalisateur (comme The Director, Five Obstructions ou Les Idiots : ça ne se regarde pas une 2e fois). J’aime beaucoup le age TV de LVT : « The Kingdom » l’hôpital et ses fantômes, où il nous gratifie d’experimentations plus innovantes que Dogma95 (il y brise la fameuse règle des 180degrés) et d’un dialogue « mystique contre septique » bien dans l’air du temps… »Breaking the Waves », beau mélo dont la BO est excellente (tout comme Dancer in the Dark mais dont je déteste l’écriture, la construction scénaristique trop artificielle, au contraire de BTW). Et l »introduction hypnotisante d’Europa reste un must.

maxleresistant
maxleresistant
il y a 6 années

J’ai encore jamais vu un film de Lars Von Trier, j’ai un peu honte, mais en même ça m’a jamais attiré.