Films

Le Pacte des loups : retour sur le miracle sauvage de Christophe Gans

Par Simon Riaux
31 mai 2020
MAJ : 21 mai 2024

Film d’aventure gargantuesque, Le Pacte des Loups fut un immense succès et un cas unique dans l’histoire du cinéma français. Retour sur une belle morsure.

Le Pacte des loups : Affiche officielle

Le stéréotype est plus que répandu chez les spectateurs français : le cinéma hexagonal est condamné à se diviser entre productions auteurisantes austères ou comédies bas du front. Et pourtant, en 2001, un film est venu balayer cette affirmation : Le Pacte des loups, véritable phénomène culturel, médiatique et public déferle sur les salles françaises. 

Beaucoup auront longtemps espéré y voir le film évangélisateur qui allait pousser producteurs et distributeurs à embrasser la cause du grand cinéma d’aventure et de récits assumant de fortes ambitions mythologiques. Las, presque 20 ans plus tard, Le Pacte des Loups fait toujours figure de cas d’école. Revenons sur ce film résolument à part dans le paysage français. 

 

photo, Mark DacascosUn film qui tape fort

 

SANG NEUF ET VIEILLES ARTERES 

Comment Christophe Gans a-t-il pu, dès son deuxième film en tant que réalisateur, rassembler un budget de 200 millions de francs (32 millions d’euros actuels), un casting énorme et une équipe technique venue des quatre coins du monde ? Pour cela, il faut revenir un peu en arrière, car lorsqu’il met la main sur le synopsis qui deviendra son deuxième long-métrage, il est déjà bien plus qu’un metteur en scène en début de carrière. 

Rédacteur en chef emblématique du légendaire Starfix, créateur de HK Magazine, et chroniqueur pour Rapido, émission présentée par Antoine de Caunes, Christophe Gans est non seulement un immense cinéphile, mais également un journaliste qui transmet sa ion comme une traînée de poudre, avec une contagiosité rare. Défendant un pan du cinéma, allant d’Argento à Bava, en ant par Cronenberg ou John Woo, que la critique institutionnelle n’a pas encore digéré, il devient rapidement un des journalistes travaillant dans le champ du cinéma parmi les plus influents.

 

PhotoChristophe Gans sur le tournage de Crying Freeman

 

À une époque où l’usage d’Internet est incomparable avec celui qu’il est aujourd’hui et où la presse écrite ne lui a pas encore cédé un pouce de terrain, cette position n’a rien d’anodine. Pour une génération entière de cinéphages, Starfix et Christophe Gans deviennent les eurs d’une esthétique remuante et renouvelée, un peu comme le firent quelques décennies plus tôt Les Cahiers du Cinéma, engendrant une génération de réalisateurs dont le travail créatif et innovateur sera d’abord é par une dimension critique. 

Ainsi, quand Christophe Gans réalise Crying Freeman, il est tout sauf un inconnu auprès des cinéphiles, producteurs ou distributeurs, et le travail qu’il entame pour préparer son projet suivant (qui ne verra jamais le jour) va achever de le faire identifier par l’industrie hexagonale et de le préparer aux ambitions du Pacte des Loups. Gans se lance dans Nemo, préquelle à 20 000 Lieues sous les mers, située en pleine guerre de Sécession. 

 

photoVestige de Nemo

 

Mélangeant histoire littéraire française, grande aventure, romantisme et références pulps, le projet contient déjà beaucoup de la philosophie du Pacte des Loups. Il ne verra jamais le jour, des désaccords entre le cinéaste et les producteurs minant progressivement le projet. Seuls demeurent quelques croquis préparatoires du grand Marc Caro, qui ont de quoi donner des frissons à tout spectateur qui se respecte.

Quant à savoir pourquoi le film n’a jamais vu le jour, peut-être faut-il voir dans les propos tenus par le réalisateur sur Culture le 31 janvier 2020 un début d’explication :

« En , Jules Verne a d’abord été regardé comme un auteur pour enfant à vertu éducative. Donc il y a un malentendu dire “à la base c’était de la SF pour les français”. Non, c’était du merveilleux, de l’aventure, de l’exotisme, mais toujours avec une pointe de savoir scientifique, qui permettait de dire : “J’offre ce bouquin à mon enfant, à mon neveu mais je fais acte d’éducation”. Et puis je pense qu’il y a un rapport particulier chez nous, vis-à-vis de la technologie, en cela que nous nous voyons d’abord comme les représentants des forces de l’esprit, avant de nous représenter comme ceux des forces technologiques, ce qui est beaucoup plus le cas des anglo-saxons". 

De plus, Gans vient de recevoir, grâce à François Cognard de Canal + Ecriture, un document d’une vingtaine de pages, qui deviendra Le Pacte des Loups.

 

photoCartouche chez Sergio Leone

 

JEUNES LOUPS ET GROS BUDGET 

Canal + Ecriture est une structure visant à soutenir les jeunes artistes, afin de créer un cadre favorisant l’émergence de séries B. C’est dans ce contexte que Christophe Gans est amené à lire un traitement d’une vingtaine de pages, signé Stéphane Cabel, qui mêle légende de la bête du Gévaudan, complot contre Louis XV et ambitions romanesques. ionné de cape et d’épées et de baroque, le metteur en scène accroche immédiatement et va trouver deux partenaires désireux de lui fournir les moyens de ses ambitions, comme de produire un cinéma français pétaradant.  

Il s’agit de Richard Grandpierre, alors producteur pour Studio Canal et futur fondateur de la société Eskwad (qui fera énormément pour le cinéma de genre français, lançant notamment un cinéaste comme Pascal Laugier). Deux hommes qui compteront énormément pour le cinéma de genre français et dans le cas de Samuel Hadida, qui demeureront les partenaires privilégiés de Christophe Gans. 

 

photo, Samuel Le BihanQuand tu pitche ton film aux investisseurs

 

Ce dernier ne se tarira d’ailleurs pas d’éloges à leur sujet quand vient le moment de promouvoir Le Pacte des Loups. Tournage à rallonge et déement budgétaire ont en effet valu au film de se trimballer, bien avant sa sortie, une réputation d’accident industriel en devenir. Essentiellement tourné en extérieur, le métrage a subi des intempéries cruelles qui ont engendré surcoûts et retards. Ainsi, le budget déjà confortable de 150 millions de francs s’est élevé jusqu’à 200 (32 millions d’euros), soit une somme plus que conséquente pour l’aube des années 2000, et impensable pour un deuxième film. Mais dans L’Express du 25 janvier 2001, le metteur en scène témoigne du soutien qu’il a rencontré. 

“Mes producteurs ont su me soutenir lorsque nous avons encaissé conditions climatiques désastreuses et déements de budget. Je m'apprêtais à couper le film. Ils m'en ont empêché, tandis que les rumeurs s'amplifiaient autour de nous.” 

Néanmoins, alors que la promotion du film s’emballe et électrise plusieurs générations de spectateurs en manque de grande aventure, la tension elle, se fait palpable du côté de Canal +, où bon nombre d’intervenants croient voir se profiler un cataclysme. La légende veut qu’une projection destinée aux équipes de Canal ait littéralement tourné au pugilat.

 

photo pacte des loups"Coucou la comédie française !"

 

HIGH KICK AU BOX-OFFICE 

Monté par le monteur de Jacques Perrin, Le Pacte des Loups affole les médias pendant des mois, peut-être justement grâce au mélange des genres cher à Gans. Encore dans l’Express, il assume la nature kaléidoscopique de son film. 

“La transparence d'un ciel sort parfois du Scaramouche de George Sidney. Monica Bellucci rend hommage au Corps au fouet, de Mario Bava. Vincent Cassel revisite les héros mutilés de Sergio Corbucci, tel Jean-Louis Trintignant dans Le Grand Silence. Samuel Le Bihan et Mark Dacascos disparaissent dans une époque d'apocalypse, comme chez John Woo.” 

Il y en a pour toutes les générations, et le succès quelques mois plus tôt des combats de Matrix est encore dans la tête des plus jeunes, auxquels les affrontements à base de kung-fu du Pacte des Loups font de l’œil. La recette fait florès et ce sont plus de cinq millions de spectateurs qui se ruent pour découvrir le long-métrage en salles. 

 

photo, Vincent Cassel, Edith ScobDes décors et un casting somptueux

 

Un public si vaste, pour un film aussi inclassable et ambitieux, c’est du jamais vu. Les médias se ionnent désormais autant pour le métrage que sa réussite, entretenant la machine. Tous les espoirs semblent alors permis, et, interrogé par Eric Libiot, Christophe Gans se demande ouvertement ce qu’il adviendra de son film et de lui. 

“Il peut rester là, tel un monolithe planté au milieu du paysage, avec ses références qui devraient effrayer n'importe quel critique établi, ou au contraire forcer chacun à prendre position. Peut-être vais-je représenter la déchéance cinématographique suprême. Peut-être vais-je incarner le comble du stylisme désordonné.” 

 

photoUn fauve d'un autre genre

 

ESPÈCE MENACÉE 

Le loup n’aura pas fait de petits. Non seulement il n’a pas inoculé le virus du genre grand public et généreux aux producteurs hexagonaux, mais il n’a pas non plus donné au grand public local le goût de ce cinéma. La relative frilosité avec laquelle les spectateurs ont récemment accueilli Le Chant du loup est venu le rappeler avec cruauté. Mais pourquoi cette formidable tornade stylistique n’a-t-elle pas restructuré plus profondément notre cinéma national ?

Peut-être faut-il y voir d’abord une spécificité du 7e Art hexagonal. La s’enorgueillit de la politique des auteurs, et il faudrait être bien malhonnête pour ne pas voir la diversité et la solidité qu’elle a conféré à sa création, peut-être, hélas au risque d’un effet pervers jouant contre les genres. Ainsi que l’expliquait le metteur en scène lors de sa masterclass pendant le dernier Festival de Gerardmer, Chris Marker comme un film de Marker. 

 

photoUne petite pincée de baroque italien

 

Il en est allé de même pour Gans, découvert à l’occasion du Pacte des Loups par le très grand-public, et demeuré un des cinéastes français les plus identifiés depuis, sans que le mélange de genres du film ou ses influences bénéficient de la même mise en lumière. Une situation qui donne un certain relief à ce que déclarait Christophe Gans à Gérardmer début 2020.

“Je regrette, en tout cas, l'époque où le public ignorait qui avait signé les films qu'il voyait. Aujourd'hui, les réalisateurs sont soit des leaders d'opinion, soit des rock stars.” 

C’est l’artiste également qui donna deux autres pistes d’interprétation, au micro de Culture, en janvier 2020. 

 

photo, Monica BellucciUn film avec des capes, et aussi des épées

 

“Pour beaucoup il y a une espèce de complexe d’infériorité par rapport aux anglo-saxons. Après le succès du Pacte des Loups, il y a eu toute une série de films de genre, qu’on a appelé les French Frayeurs, qui étaient des copies de slashers américains.” 

Et si des créateurs aussi importants que Alexandre Aja ont émergé de cette mouvance, impossible de lui donner tort, tant les réalisateurs des French Frayeurs ont pu donner le sentiment à leurs débuts de s’inscrire essentiellement dans le sillage du cinéma américain. Enfin, Christophe Gans reconnait sans mal que la compose avec un certain héritage culturel. 

“Le cinéma français, son genre premier absolu, c’est la comédie. Qu’on le veuille ou non, que ça nous fasse mal ou non, c’est la comédie.” 

Voilà qui ne manquera pas de faire rire un peu jaune les nostalgiques de son fastueux pacte. 

 

affiche

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Stefun
Stefun
il y a 1 mois

Revu récemment, contrairement à certains je trouve qu’il a parfaitement bien vieilli (à part les CGI de la bête et le jeu cataclysmique de le Bihan !)
Mais sinon la mise en scène, la photographie, l’ambition de ce film sont incroyables. Même les scènes de baston, qui en avaient dérangé certains à l’époque, enterrent à peu près tout ce que j’ai vu depuis

Hasgarn
Hasgarn
il y a 4 années

L’artwork qui illustre l’article est de Matthieu Lauffray. On en trouve d’autres dans son artbook « proto ».
Je n’ai jamais vu le travail de Caro sur ce film.

Camille
Camille
il y a 5 années

Je l’ai revu recemment et frenchement auj ça e pour un nanar : kungfu, l’Indien, la bête elle même qui ressemble à rien…Quitte à regarder un film français d’époque je préfere Fanfan la Tulipe avec Vincent Perez et Guillaume Galienne.

beutenhemm
beutenhemm
il y a 5 années

Dac avec toi dirty Harry, Ben t’es un peu pugnace. Kolby,  » bousiller  » et pas  » bousier  ».
Aussi non, tout va bien. 😉

Dirty Harry
Dirty Harry
il y a 5 années

Au delà des petits détails qui plombent le film (toujours ce sérieux plombant chez Gans, Le Bihan aussi charismatique qu’une endive tiède et la vision de la monarchie trois fois à coté de la plaque, comme si la était une dictature depuis 17 siècles la bonne blague !), le film a une belle ambition, hybride des choses improbables (feuilleton à costumes/Mangas/Western…) et a plutôt de la gueule, là où notre système montre ses limites c’est que Christophe Gans a été éjecté de suite à l’immense succès de ce film, Canal+ commençait à se remplir de médiocres qui, jaloux de ce coup d’éclat, lui en ont voulu ! Il a du partir au Canada faire une série B adaptée d’un jeu vidéo alors qu’il aurait fallu lui faire un chèque deux fois plus gros pour faire du gros film stylé !! Ce film est le reflet d’un monde qui n’existera jamais plus (sauf si une bombe explose Paris et tous ces producteurs médiocres et bêtes à qui le mot « ambition » fait peur)

Ben
Ben
il y a 5 années

@M1pat
Plutôt que de dire n’importe quoi, tu devrais t’intéresser au sujet et tu découvrirais assez facilement que « le milieu » qui déteste Besson n’existe pas. C’est Besson qui s’est toujours présenté comme un mal aimé des critiques, ce qui est faux mais fait parti du story telling Besson.

Et tous ces soi-disants réalisateurs qui ne seraient pas aimé en et se seraient donc expatriés chez les Ricains qui sont eux tellement plus ouverts que nous, font d’excellents scores au box office en . Le Pacte des loups a fait 5 millions d’entrées rien que sur le territoire français, en 2001.

Je ne sais pas si tu étais né en 2001, mais moi oui, et un film comme Le pacte des loups qui n’est ni plus ni moins qu’un manga live de par son contenu et le traitement des personnages y a rencontré un succès phénoménal – surtout pour un film aussi hybride.

Je serais toi – ainsi que ceux qui ent leur temps à s’autoflageller parce que Français -, je lirais et je m’informerais plus.

M1pats
M1pats
il y a 5 années

@réalisateur maudit

« Fantômas, un film d’action avec Vincent Cassel sous le masque, le film fut annulé lui aussi car le producteur Thomas Langman voulait en faire une comédie.  »

Haha je suis plier, ils ne pensent qu avec les comédies ces bouffons, eux le seigneur des anneaux ils en auraient fait une comédie avec Franck Dubsoc

M1pats
M1pats
il y a 5 années

Avec Luc Besson les seuls qui osent faire bouger le cinéma fr en faisant autre chose que des comédies immondes ou drames lourds, et pour cela ils sont détestés dans le milieu

Kolby
Kolby
il y a 5 années

…. Concernant les mad movies et impacts, plus de bois pour en faire des revues et papiers a lecture, la technologie nous a bousier les seule chose qui nous servait de preuves. Pas que … Mais a chacun son époque et à chacun de faire la différence dans ces choix

Kolby
Kolby
il y a 5 années

@real maudit… Ben
Je ne comparé pas Gans a letterrier mais plutôt de réalisateur en devenir français. On arrive pas a leur faire confiance dans des prods a budget realiste. Au state ces Real en question, on leur a offert leur chance ce qui n’as pas été le cas en . Aja on le remarque de la colline a des yeux, Jeunet pour alien, letterrier ne rejette pas son talent, il est énorme. Même les 2 belge qui sont derrière badboys3. En , cette simplicité qu’à les USA a donner leur chance au nouveau venu ne saurait se faire en avec des films aussi important. C’est ce qui a cassé Gans vue que la plupart de ces projets n’a pas abouti faute aux producteurs et aux manque de confiance de certains.