Avec Bong Joon-ho livrait un film de monstre qui mélange parfaitement cinéma politique et pur divertissement.
Si Parasite lui a offert une immense consécration critique et commerciale à l’international, cela fait bien des années que Bong Joon-ho domine le cinéma coréen. Révélé au public local grâce à Memories of Murder, son deuxième long-métrage, le cinéaste s'est suré trois ans plus tard avec The Host.
Ce film de monstre bénéficiait d’un budget record pour la production sud-coréenne de l’époque. Et son triomphe commercial démesuré a achevé de confirmer l’amour du public coréen pour Bong Joon-ho. Il faut dire qu’avec The Host, le cinéaste trouve un équilibre parfait qui l’accompagnera pour tout le reste de sa filmographie : un savant mélange de divertissement grand public et de vision d’auteur. Plus qu’un petit délire spectaculaire, son film est profondément politique et anticonformiste.
L'art du plan culte selon Bong Joon-ho
DARK WATERS
C’est probablement la première grille de lecture qui saute aux yeux quand on découvre The Host. le film s’attaque aux enjeux écologiques de façon évidente. Une thématique chère au cinéaste, qu’il explorera plus en détail avec ses œuvres suivantes, en particulier dans Snowpiercer et Okja. Le concept même de The Host est tiré d’un fait divers. Bong Joon-ho s’inspire d’un scandale écologique ayant secoué Séoul à l’aube des années 2000. L’affaire tournait autour d’un collaborateur de l’armée américaine à qui on avait ordonné de déverser de grosses quantités de formaldéhyde dans la rivière Han.
Le réalisateur va donc lier la naissance de son monstre à cet événement. C’est même sur cette séquence qu’il ouvre son film et nous confronte à l’acte délibéré de pollution avant même de nous présenter les personnages principaux. À l’image d’un Godzilla dont les origines impliquent systématiquement des essais nucléaires, la créature de The Host sera donc une création humaine qui incarnera une punition symbolique opposant l’homme à la nature.
Autre réflexion écologique distillée dans toute l’œuvre de Bong Joon-ho : on perçoit dans le film une réflexion sur notre rapport à la nourriture. Pas question pour le cinéaste de tomber dans le mélo moralisateur. Il le fait plutôt avec son humour noir caractéristique. À l’image de ces citadins qui mangent tranquillement du poulpe sur les berges avant l’arrivée du monstre tentaculaire. Il laissera également sa caméra filmer de façon faussement contemplative tous les détritus et les emballages comme les traces d’une civilisation disparue, lors des séquences nocturnes.
Ainsi, son monstre revêt plusieurs sens cachés au sein d’une même thématique. Dans cette optique-là, on peut le voir comme un reflet déformé de l’être humain. Le nouveau prédateur qui se placerait au sommet de la chaîne alimentaire. Un prédateur sans morale, qui ne réfléchit pas avant d’attaquer par facilité les enfants ou les vieillards. Là encore, Bong Joon-ho ira explorer bien plus en profondeur cette notion de violence prédatrice avec Okja, qui placera un équivalent de Mon Voisin Totoro dans l’univers impitoyable de la boucherie.
Un repas pas forcément équilibré
L’EXERCICE DE L’ÉTAT
Autre thématique inhérente au cinéma de Bong Joon-ho, The Host s’intéresse évidemment à la lutte des classes. Le film aurait pu se contenter d’une morale assez classique mettant en garde l’humanité de manière générale. Le sempiternel appel à respecter la nature pour qu’elle nous respecte, déjà vu et revu des centaines de fois dans le cinéma catastrophe hollywoodien. Mais le cinéaste coréen détourne avec intelligence cette morale attendue. Il nous montre avant tout que les premiers à payer l’inconscience écologique des institutions seront les citoyens les plus défavorisés.
Voilà pourquoi son film de monstre ne nous confronte pas aux héros classiques du genre, à savoir les scientifiques et les militaires qui sont constamment ridiculisés dans The Host. Cette fois-ci, les héros sont des gens du peuple dont la banalité risible résonne bien plus intimement avec les spectateurs. Les classes populaires sont en première ligne, ce sont elles qui seront attaquées sur les berges, loin de la sécurité des hautes tours dans les quartiers d’affaires.
Des héros pas franchement héroïques
Le personnage de Park Nam-il porte à lui seul un message politique ionnant. Ancien étudiant brillant qui peine à trouver un emploi et vit une déchéance sociale spectaculaire, il représente une échelle sociale en pleine rupture. Cette incapacité à s’élever économiquement apparaît presque comme une malédiction pour la famille Park. Que ce soit par les études, le sport ou l’entrepreneuriat, leurs efforts semblent condamnés à l’échec.
Park Nam-il pousse cependant un peu plus loin la métaphore. Trahi en cours de récit par un ancien camarade universitaire, il montre comment la société coréenne traite en pestiférés ceux qui représentent une forme d’échec social. Comme s’ils étaient aussi contagieux que ce faux virus qui bloque toute la famille Park en début de récit.
Et si dans Parasite les pauvres sont très littéralement cachés au sous-sol d’une maison luxueuse, dans The Host la survie des enfants se joue dans les égouts. Une autre façon d’expliciter la même idée : la survie des classes sociales défavorisées se fait constamment loin des regards, dans l’indifférence la plus totale.
KILLING IN THE NAME
L’autre question sociale cruciale à la compréhension de The Host, c’est la thématique des violences policières et institutionnelles. Bong Joon-ho n’a jamais caché sa jeunesse militante et les nombreuses manifestations étudiantes auxquelles il a pris part. C’est donc en grande partie un exercice autobiographique pour lui que de mettre en images la répression violente exécutée par les forces de l’ordre. La séquence finale hallucinante tente de retranscrire le plus fidèlement possible le chaos et l’aveuglement d’un peuple qui se voit retirer le droit de s’exprimer.
Mais là encore, plutôt que d’aller directement vers le drame et les sentiments déchirants, le cinéaste préfère opter pour un détachement comique bien plus transgressif. On retiendra par exemple la brutalité absurde avec laquelle sont traités les rescapés en isolement. Violence à laquelle s’oppose l’image du garde en combinaison qui glisse pathétiquement devant un gymnase de confinés. C’est ce décalage qui permet de mieux mettre en scène une société en rupture de dialogue, qui ne comprend plus que le rapport de force.
Ma 6-T va crack-er...une fois de plus
L’affrontement final viendra achever d’incarner cette métaphore sociale. En effet, nos héros finissent par jeter des cocktails Molotov au monstre – une concoction que Park Nam-il avoue d’ailleurs avoir appris à maîtriser lors des manifestations étudiantes. Plutôt que d’humaniser une créature démesurée comme il le fera plus tard dans Okja, Bong Joon-ho en fait lors de ce combat une incarnation de l’autorité répressive. Le monstre ne paraît au final pas plus aveugle, brutal et destructeur que les institutions gouvernementales qui lui ont permis d’exister.
Cette culpabilité étatique est d’ailleurs soulignée par le cynisme avec lequel le réalisateur aborde l’ingérence américaine dans les affaires coréennes. En effet, si les États-Unis ont un rôle crucial dans la création du monstre en début de récit, on les voit également se servir allègrement des médias coréens pour diff des désinformations éhontées.
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Au final, The Host condensait déjà tout ce qui fait la force et l’agressivité politiques du cinéma de son auteur. Jamais moralisateur ni complaisant, le film incarne tout ce qu’un blockbuster peut devenir entre les mains d’un auteur avec une vision et un message précis. Fort de ce triomphe, Bong Joon-ho n’a depuis jamais cessé d’allier anticonformisme et divertissement. De quoi nous rendre encore un peu plus impatients en attendant l’énigmatique Mickey7.
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C’est justement ce mélange des genres (comme souvent dans le cinéma coréen) que j’ai trouvé mal équilibré qui a fait que je n’ai pas réussi à apprécier le film
Faut que je termine Parasite….m’a pas trop emballé mais par contre The host comme le voisin du dessous, une bombe ce film.
Chef d’oeuvre absolu du genre.Parfait mélange des genres cinématographiques. Véritable incarnation de tout ce croisement .Ca e d’une satire sociale ,politique , à un film fantastique , à un film comique jusqu’au climax d’horreur et au désenchantement avec cette scene finale qui déchire le coeur.
Les personnages sont extrêmement attachants dans un monde où l’homme est le créateur de son propre bourreau (les scientifiques créant un monstre effrayant). Ce réalisateur est juste un génie absolu .
Et cette justesse de filmer les laisser pour compte en Corée du Sud, film politique mais pas que. Il connait parfaitement les differents genres cinématographiques , et il n’oublie jamais de faire du cinéma .Le cinéma qui nous divertit et qui nous scotche au siège.