Films

Chasse à l’homme : quand John Woo tentait de pirater l’action hollywoodienne

Par marvin-montes
2 mars 2023
MAJ : 24 mai 2024

Quatre ans avant Volte-Face, John Woo faisait ses débuts à Hollywood en s’associant à JCVD dans l’explosif Chasse à l’homme.

Chasse à l'homme : photo, Jean-Claude Van Damme

Avec Jean-Claude Van Damme pour une curieuse relecture des Chasses du comte Zaroff, aussi bancale qu'enthousiasmante.

En 1992, John Woo mettait un terme au premier arc de sa carrière hongkongaise avec l'immense À toute épreuve, explosion terminale en forme d'adieu à la colonie anglaise, et de solide carte de visite à l'attention de l'industrie hollywoodienne. Assez éloigné de l'extrémisme mélodramatique d'un The Killer, le dernier grand succès du duo formé par Woo et Chow Yun-Fat digérait parfaitement les influences occidentales du cinéaste pour les inf dans son spectaculaire polar urbain.

Les incertitudes liées à la future rétrocession de Hong Kong vers la Chine, combinées aux appels du pied répétés d'une sphère de l'action hollywoodienne en plein essoufflement poussent le roi de l'Heroic Bloodshed à envisager la suite de sa carrière au pays de l'oncle Sam. Même si le parcours américain de Woo est émaillé d'échecs cuisants (Broken Arrow et Paycheck en tête), le réalisateur reste le seul à avoir réussi à combiner de manière miraculeuse les approches hongkongaises et états-uniennes de l'action, le temps d'un instant suspendu dénommé Volte-Face

Pourtant, même si le western surréaliste opposant John Travolta et Nicolas Cage est souvent cité – au même titre qu'un Mission : Impossible 2, qui a ses défenseurs – pour illustrer cette nouvelle étape de la carrière de Woo, il existe un autre film, une capsule d'incompatibilité flamboyante qui préfigure toutes les difficultés rencontrées par le metteur en scène en territoire américain. Ce long-métrage, qui porte malgré tout la marque – imposée dans la douleur – de la légende de Hong Kong, c'est Chasse à l'homme.

 

Chasse à l'homme : photo, Jean-Claude Van Damme, Yancy ButlerIl est temps de partir

 

Il était une fois en Amérique

Avant l'arrivée de John Woo, Chasse à l'homme est déjà un projet délicat. Pensé par le scénariste Chuck Pfarrer (aussi bien capable d'écrire Darkman que Barb Wire ou Le Chacal) comme un (vague) remake des Chasses du comte Zaroff, le projet est dans un premier temps promis à Andrew Davis (déjà responsable de Nico et Piège en haute mer), mais le réalisateur abandonne rapidement. En débarquant à Hollywood, Woo refuse plusieurs scripts – dont celui de Volte-Face, à l'époque toujours un projet de science-fiction – avant de tomber sur celui de Pfarrer, qu'il décrit comme une histoire simple et à sa mesure. La machine est lancée. 

John Woo souhaite en premier lieu faire appel à Kurt Russell pour interpréter son héros, mais l'acteur n'est pas disponible. La compagnie Universal, qui produit le film, souhaite de son côté l'apport de Jean-Claude Van Damme. Coup de pouce du destin (du moins, on aurait pu l'imaginer), l'acteur belge est un grand irateur de Woo, et plus généralement du cinéma HK. La collaboration entre les deux hommes fera des étincelles, pour le meilleur et pour le pire.

 

Chasse à l'homme : photo, Lance Henriksen, Arnold VoslooLes chasses du comte Fouchon

 

C'est donc le musculeux Bruxellois qui hérite du rôle principal de Chasse à l'homme. Dans la foulée du succès de Cavale sans issue, Van Damme tente de s'illustrer dans un registre plus dramatique, en laissant de côté le cinéma d'arts martiaux pur. Il ne le sait pas encore, mais il se dirige doucement vers la fin de l'état de grâce de sa carrière, entamé avec Bloodsport en 1988.

Dans Chasse à l'homme, JCVD récupère le rôle de Chance Boudreaux, ancien militaire devenu marin pêcheur en Louisiane. Natasha Binder, jeune femme à la recherche de son père, un sans-abri ex-membre des forces spéciales, fait appel à Boudreaux pour le retrouver, après avoir pu apprécier ses solides compétences martiales.

Le duo nouvellement formé ne tarde pas à retrouver le corps du malheureux, éliminé par le criminel Emil Fouchon et sa bande de tueurs de sang-froid. Dans une Nouvelle-Orléans délaissée par la justice, Chance et Natasha devront obtenir vengeance en affrontant le gang de Fouchon, qui organise régulièrement des chasses à l'homme en pleine ville pour le compte de riches personnalités accrocs au frisson.

 

Chasse à l'homme : photo, Jean-Claude Van DammeCroquer la vie à pleines dents

 

Ego masters

Le tournage n'a pas encore débuté que les ennuis commencent déjà : méfiant quand à la capacité de John Woo à gérer une production américaine – une crainte renforcée par le niveau d'anglais assez faible du réalisateur – Universal dépêche sur place un producteur apte à reprendre le métrage en main en cas d'échec de Woo en la personne de Sam Raimi. Heureusement, le réalisateur de la trilogie Evil Dead est un grand fan de John Woo, et fera finalement office de protecteur, libérant autant que possible le cinéaste des parasitages du studio.

En prime, Raimi apporte dans ses valises quelques solides artisans totalement perméables à la vision de Woo, à commencer par le monteur Bob Murawski, que l'on retrouvera ensuite sur la trilogie Spider-Man. La photographie du film, bien supérieure au tout-venant de la série B d'action, est à mettre au crédit du chef opérateur Russell Carpenter (tout simplement le futur collaborateur de James Cameron sur True LiesTitanic et les deux Avatar).

 

Chasse à l'homme : photo, Lance Henriksen, Arnold VoslooLes exécutifs d'Universal derrière John Woo

 

Mais malgré cette incontestable somme de talent, une sacrée grosse épine ne tarde pas à se planter dans les pieds de John Woo : l'ego de Jean-Claude Van Damme. En plein délire mégalomaniaque, la star belge pousse chaque jour le réalisateur dans ses retranchements, dans le seul but d'obtenir un nouveau véhicule à sa gloire. JCVD ira jusqu'à faire appel à son propre monteur sur le tournage, afin de réduire le temps d'apparition à l'écran de Lance Henriksen. Droit dans ses santiags, l'acteur belge déclare : "Les gens paient avec leur argent pour me voir, pas pour voir Lance Henriksen."

Dans la version finale de Chasse à l'homme, tout ceci se traduit par une sensation de dualité permanente, qui empêche à plusieurs reprises le long-métrage de prendre la dimension espérée. Il est même régulièrement simple de dissocier les séquences voulues par Woo de celles récupérées par un Van Damme totalement hors-sol. Exemple frappant : la scène du serpent, même si elle nous fait toujours bien rire, s'intercale de manière assez incongrue dans le montage du film, en brisant la dynamique d'urgence de la traque perpétrée par Fouchon et ses hommes.

 

Chasse à l'homme : photo, Jean-Claude Van DammeUne vraie tête de mulet

 

A contrario, John Woo aborde son premier long-métrage américain de la meilleure des manières, soit en priorisant les éléments de son cinéma issus de ses inspirations les plus occidentalisantes, comme un À toute épreuve qui accepterait toujours plus sa fonction mimétique. Dès les premières secondes, Woo dépeint sa Nouvelle-Orléans comme un décor de western, en montrant les longues allées désertées de la ville au travers du regard de la première victime de Fouchon.

Il tente même à plusieurs reprises d'établir Chance Boudreaux en tant que figure héroïque classique, en filmant Van Damme comme le Chow Yun-Fat qui lui manque cruellement (et qu'il pensera ensuite avoir retrouvé au travers de la personnalité de John Travolta). En témoigne la triple iconisation du protagoniste lors de sa séquence introductive, où un premier contrechamp cède sa place à un travelling circulaire pour enfin se muer en fondu enchainé sur le regard du personnage. La scène suivante, qui laisse le montage mettre en valeur les mouvements démonstratifs de Van Damme, est une véritable échauffourée de sortie de saloon.

 

Chasse à l'homme : photo, Jean-Claude Van Damme, Arnold VoslooLe mur du système hollywoodien

 

One man army

Envers et contre tout, John Woo rappelle régulièrement dans Chasse à l'homme qu'il est l'un des metteurs en scène d'action les plus brillants de sa génération. Son amour des ralentis, hérité de son iration pour Sam Peckinpah (qu'il partage avec le chef opérateur Russell Carpenter) est toujours aussi bien représenté, mais surtout, intelligemment intégré au montage, afin de maximiser l'impact du plan suivant. Bien plus qu'une figure de style, le ralenti de Woo est, à l'instar de celui de Peckinpah, un élément de mise en scène à part entière.

Le long-métrage donne l'impression de totalement se libérer lors de son dernier tiers, où une réserve d'accessoires de fête foraine offre à Woo un terrain de jeu propice à la mise en place d'un climax évoquant les grandes envolées de l'heroic bloodshed. L'affrontement entre les deux bad guys Lance Henriksen et Arnold Vosloo (qui semblent d'ailleurs s'am comme rarement) et un Van Damme pour une fois totalement au service de son réalisateur produit sans contestation possible les meilleures séquences de Chasse à l'homme.

 

Chasse à l'homme : photo, Jean-Claude Van DammeMieux vaut tard que jamais

 

Une arme dans chaque main, Chance virevolte entre les balles et les flammes, sautant au travers des vitres avant de glisser sur le sol tout en rechargeant ses pistolets pour achever son adversaire dans le même mouvement. Une armée d'un seul homme qui nous donne en quelques minutes une brève impression de ce que le film aurait pu (et dû) être. Quelques scènes plus tôt, une séquence de poursuite à moto voyait sa rythmique entachée par les nombreuses coupes effectuées sur les expressions faciales de Van Damme. L'illustration parfaite du paradoxe ambulant qu'est Chasse à l'homme.

Après les exécutifs du studio, c'est au tour de la censure américaine de mettre des bâtons dans les roues du réalisateur. John Woo est en effet forcé de livrer pas moins de six versions du long-métrage afin d'échapper à l'interdiction aux moins de 17 ans prohibée par Universal. En cause, la présence de tirs d'armes à feu et de leurs impacts sur des corps humains sur le même plan. Le choc des cultures, encore et toujours.

Après Chasse à l'homme vient Broken Arrow, un autre projet compliqué pour John Woo, qui se prendra tout de même d'iration pour John Travolta. Avec l'aide de son nouvel acteur fétiche et des producteurs Joel Silver et Michael Douglas — qui lui accordent enfin une confiance totale — il mettra sur pied le miracle qui relie, pour une seule et unique fois, les visions hongkongaises et américaines du cinéma d'action, le bien nommé Volte-Face.

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Chryslegrand
Chryslegrand
il y a 1 année

Perso j’ai beaucoup adoré ce film que j’ai maté plusieurs fois. Des dialogues qui font mouches et les acteurs qui ne surjouent pas . Et même si de fois Woo abusent des ralentis,mais apparemment c’était aussi sa marque ( avec les colombes) ça reste un de mes films préférés

Yeah!
Yeah!
il y a 2 années

Un film comme on les aime

Mx
Mx
il y a 2 années

Ray, toi t’es mon pote, sa fait plaisir de parler à un connaisseur!!

oui, pur souvenir de vidéo club, en vhs, et quel casting, rutger hauer, charles « Alien 3 » s dutton, f murray abraham, garu busey, ice-t, william mc namara, john mc ginley, bon sa calme!!

en ce moment, ils sont en train de demander aux internautes leurs suggestion pour les prochaines vhs box, une belle édition pour ce film serait la bienvenue!!

Ray Peterson
Ray Peterson
il y a 2 années

Un bon John Woo et un Van Damme plutôt crédible avec accent siouplait. La SQ de fin avec les éléments de fête foraine en enfer est magnifique de poésie… Même si y a des colombes.
Lance Henriksen et Arnold Vosloo sont superbes.

@M.X., Que La Chasse Commence, un vrai film de bonhomme avec un casting de bonhomme et une réalisation de bonhomme. Série B quand tu nous tient!!! Un plaisir du samedi après-midi après visite du vidéoclub!

Marvin Montes
Marvin Montes
il y a 2 années

@Arnaud (le vrai)

C’est une légère distorsion de l’histoire je dirais.
L’iration de van Damme pour le cinéma de Hong Kong était réelle (il avait déjà rencontré Woo) mais il n’a débauché personne de l’archipel. Chasse à l’homme n’était pas un projet promis à Woo, loin de la.

Arnaud (Le vrai)
Arnaud (Le vrai)
il y a 2 années

J’adore ce film de Woo, sur certains points je le mettrai meme devant Volte-Face.

Par contre j’ai toujours cru que c’etait Van Damme qui etait allé chercher Woo pour realiser le film, de ce que vous dites c’est pas vraiment le cas. Legende urbaine ?
Quid de Ringo Lam et Tsui Hark ?

Bref un film genial, avec un style particulier et qui peu deplaire, mais que perso j’adore. Lance Henriksen au top, Arnold Vosloo bien charismatique et Van Damme badass a mort qui ne surjoue pas. Bref j’adore ce film
Je vais aller le remater tiens

Mx
Mx
il y a 2 années

Et puis les scènes cultes, le serpent, les répliques « on est à la nouvelle-orléans, monsieur zenan, pas à beyrouth! »

« randal, je ree ici, je me coupe un steak!! »

Mx
Mx
il y a 2 années

Un film mal compris dans la carrière du maestro, mais malgré les compromis, une excellente série b a l’ancienne, ou l’action est magnifiée, on sent bien le style qui a fait sa réputation, c’est hyper fluide, les flingues sont encore filmés avec fétichisme, le film ne dure pas trois plombes, van dame avec sa coupe mulet et sa chemise, c’est culte, yancy butler est toute mimi, et le duo henrisken-vooslo composé une paire de bad Guy délicieusement sadique.

Le final est un grand moment , tout comme l’ouverture, du western à la nouvelle Orléans, très bonne édition vhs box chez esc récemment.

Un petit dossier sur que la chasse commence!, avec rutiler hauer, pourrait suivre.