À l’aube des années 60, le toujours très prolifique Roger Corman réalise une série de sept longs-métrages adaptés des écrits du célèbre Edgar Allan Poe pour le studio American International Pictures. Des films généralement tournés avec peu de moyens et en très peu de temps. Mais surtout des œuvres ionnantes, qui forgent l’identité du cinéma gothique américain. Dans le lot, on retiendra particulièrement le choc La chambre des tortures ou encore La chute de la maison Usher.
On trouve cependant un volet à part dans ce cycle Edgar Allan Poe. Le cinquième volet, intitulé La malédiction d’Arkham, est en réalité une adaptation du roman L’Affaire Charles Dexter Ward écrit par H. P. Lovecraft. Le studio décide cependant que le nom de Lovecraft, peu connu du grand public à l’époque, n’est pas assez vendeur. AIP impose donc à Roger Corman le titre original The Haunted Palace, en référence à un poème de Poe. Reste que le film est une des toutes premières adaptations cinématographiques du maître de l’horreur cosmique. Voyons comment le cinéaste parvient à donner vie à une horreur par définition indescriptible.
FEAR OF THE DARK
Parmi les auteurs réputés inadaptables au cinéma, H. P. Lovecraft tient une place de choix. Et pour cause, son horreur cosmique est par essence impossible à décrire. La terreur de ses récits vient précisément de l’impuissance des narrateurs à exprimer de façon rationnelle les abominations auxquelles ils font face. De façon logique, un art visuel peut sembler totalement inapproprié pour susciter de telles émotions. Et bon nombre d’adaptations cinématographiques de l’auteur tombent dans le piège de trop en montrer, au point de détruire tout sentiment d’angoisse.
Conscient de devoir trahir au moins en partie cet art du mystère, Roger Corman parvient tout de même à respecter l’esprit de l’auteur sous bien des aspects. Tout d’abord, le cinéaste compense le besoin de filmer l’horreur par une mise en scène fantasmagorique. Dans La malédiction d’Arkham, la frontière du réel est si trouble que le spectateur a l’impression d’évoluer en plein cauchemar.
Après quatre longs-métrages consécutifs consacrés à Edgar Allan Poe, Roger Corman maîtrise à merveille les codes gothiques. C’est justement cette esthétique mystérieuse, embrumée, qui permet au film de se distinguer. Les jeux d’ombres et de lumières parviennent à créer une sorte de réalité parallèle qui colle étrangement bien à la psyché des personnages lovecraftiens. La malédiction d’Arkham parvient ainsi à montrer tout en laissant une place constante au doute.
Dès le générique d’ouverture, filmant une araignée qui tisse sa toile, le film utilise l’esthétique gothique comme vecteur d’un symbolisme très appuyé. Ainsi, dans cet univers hyperbolique et outrancier, les délires paranoïaques de Lovecraft deviennent paradoxalement plus crédibles. On adhère sans mal à cette histoire de portail entre les mondes et aux créatures difformes obéissant à un Vicent Price qui est une fois de plus délicieusement en roue libre.
Autre réussite technique, la bande originale de Ronald Stein ajoute une touche de folie qui colle parfaitement à la narration. Collaborateur régulier de Roger Corman, il lui a offert certaines de ses partitions les plus mémorables, notamment pour La petite boutique des horreurs. Cette fois-ci, il s’attache à décupler la violence psychotique des séquences marquantes. Mais Ronald Stein joue aussi plus subtilement sur une inquiétude difficilement perceptible. Le thème principal peut évoquer ainsi une sorte de Danny Elfman avant l’heure.
Charles et ses drôles de dames
ELEVATED DRAMA
Avec La malédiction d’Arkham, Roger Corman avait déjà compris un point crucial que presque tous les cinéastes ayant adapté Lovecraft depuis ont échoué à saisir : la terreur suscitée par l’auteur provient en grande partie du drame intime que traversent ses personnages. L’horreur lovecraftienne repose sur la perte de repères. On nous introduit généralement des héros rationnels et hautement éduqués. Des hommes de science qui se retrouvent démunis face à une horreur abominable qui ne peut que les détruire psychologiquement.
Le cinéaste comprend à merveille cet enjeu complexe. Son film va ainsi se concentrer tout particulièrement sur la déchéance mentale et affective que traverse Charles Dexter Ward. On saisit l’ampleur de sa lutte intérieure pour ne pas être remplacé par cet ancêtre maléfique. Roger Corman utilise une idée visuelle aussi simple que frappante. À chaque fois que Joseph Curwen prend le dessus, Vincent Price porte un maquillage verdâtre. Cet air putride, presque zombifié, symbolise avec force le dépérissement qui opère chez le héros.
La nuit des ni morts ni vivants
Le personnage incarné par Debra Paget ajoute également une autre dimension de drame. Bien que créée pour le film, Ann Ward correspond parfaitement aux archétypes tragiques que l’auteur de Providence aimait tant. On découvre avec stupeur le naufrage aussi lent qu’inévitable du couple principal. Qu’importe à quel point Ann tente de lutter pour sauver son époux, elle est déée par des forces et des enjeux qui vont au-delà de la conscience humaine.
Afin de rendre le drame plus intelligible, Roger Corman va sacrifier la narration déconstruite et non linéaire chère à H. P. Lovecraft. Dans La malédiction d’Arkham, il n’est pas question de flash-back permettant d’expliquer un drame annoncé. Le film ne s’embarrasse pas non plus d’un narrateur en voix off, ce qui lui évite l’écueil de répéter mot par mot un roman au style dense et parfois peu digeste.
Dans cette logique, le cinéaste va rompre la tradition lovecraftienne de façon radicale en allant jusqu’à dévoiler l’existence même du surnaturel dès la séquence d’ouverture. En renonçant à une ambiguïté propre à l’horreur cosmique, Roger Corman permet d’amplifier la puissance tragique de son œuvre. Dans sa relecture du roman, on ressent la terreur bien plus par empathie que par peur de l’inconnu. Il est cependant indéniable que le grand frisson est présent.
MYTHO LOGIQUE
Malgré certaines décisions radicales, Roger Corman prouve surtout avec La malédiction d’Arkham à quel point il connaît parfaitement la mythologie lovecraftienne. Comme son titre français l’indique, l’intrigue se déroule dans la ville fictive d’Arkham. Bien que L’Affaire Charles Dexter Ward se situait essentiellement entre Providence et Pawtuxet, les lecteurs assidus de Lovecraft connaissent très bien la ville d’Arkham et les mystères qu’elle abrite.
Dès la séquence d’ouverture, les dialogues évoquent Yog-Sothoth et Cthulhu, figures majeures des mythes lovecraftiens. Un peu plus tard dans le récit, les personnages feront également appel au célèbre Necronomicon. Autant d’éléments caractéristiques de l’auteur que personne n’avait jamais convoqué de manière si frontale au cinéma avant Corman.
L'art de suggérer l'horreur hors champ
On pourrait évidemment reprocher au cinéaste certains choix discutables, notamment celui de filmer directement Yog-Sothoth en fin de récit. Une erreur qui nuit considérablement à la terreur suggérée qu’il avait su préserver jusqu’alors. Mais il semble tout de même impossible de ne pas ettre que Roger Corman maîtrise son sujet et aime profondément l’univers qu’il adapte. Lors de sa sortie, le long-métrage servira d’initiation aux écrits de H. P. Lovecraft pour bon nombre de spectateurs.
Ces premiers pas vers la mise en scène du mythe vont permettre à de nombreux cinéastes d’exprimer toute leur fascination pour Lovecraft. Les décennies suivantes le confirmeront d’ailleurs avec des projets d’adaptations fidèles comme Re-Animator de Stuart Gordon. Et des cinéastes comme John Carpenter achèveront d’imposer une inspiration lovecraftienne avec des projets évoquant l’auteur, comme L’antre de la folie.
Un digne héritier de Roger Corman
Sans totalement réussir à créer de l’horreur cosmique pure au cinéma, La malédiction d’Arkham parvient ainsi à adapter très fidèlement l’esprit du roman et de son auteur. Roger Corman exploite une dimension humaine tragique pour convoquer la peur et il s’en sort avec brio. Il semble indéniable que son long-métrage avant-gardiste a laissé une trace indélébile dans l’histoire du cinéma horrifique américain.
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Dan O’Bannon a aussi adapté le bouquin. Pô mal du tout, mais fauché. Les meilleurs adaptations d’HPL sont des films fauchés. Hemoglobin avec Rutger Hauer est cool. The Thing joue avec Le montagnes hallucinée. Dagon est sympa. Faut que je vois Zeder, paraît-il dans l’esprit.
Très bon film.
Pas vu, merci du tuyau
pour nager en plein cauchemar, pas la peine de ce retour dans le é, y suffit de regarder la filmographie française actuelle et on y est