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Mad Max : la version alternative de Fury Road qui va vous décoller la rétine (encore)

Par Mathieu Jaborska
20 mai 2024
MAJ : 21 mai 2024

La version Black and Chrome de Mad Max : Fury Road a fait date, au point de faire subtilement revenir à la mode le noir et blanc à Hollywood.

Mad Max : Fury Road : Black and Chrome

La version Black and Chrome de Mad Max : Fury Road a fait date. Et elle est à peu près aussi sublime que la version originale.

Le 12 janvier 2024, le très apprécié Parasite et d'autres sont aussi és par là.

Mais la référence aujourd'hui reste peut-être Mad Max : Fury Road, ressorti en noir et blanc en 2017 et sous-titré Black and Chrome.

 

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Black, chrome and shiny

Pour beaucoup, désaturer la photographie désormais iconique du grand John Seale (qui était sorti de sa retraite pour l'occasion) tenait du sabotage, surtout en son absence. Pourtant, le réalisateur de Lorenzo, lequel a failli contenir des séquences en noir et blanc, y tenait depuis des décennies.

"Il y a bien longtemps, lorsque la bande originale de Mad Max 2 a été enregistrée, l'orchestre jouait devant une version préliminaire en noir et blanc très contrastée", expliquait-il la même année à The Independant. "C'était une copie temporaire, beaucoup moins chère qu'une version couleur. Ce qui m'a frappé, c'est à quel point les images semblaient plus 'iconiques', plus élémentaires, abstraites et 'authentiques'. Depuis, je veux voir un film Mad Max en noir et blanc." C'est donc lui qui a démarché les exécutifs de Warner pour produire cette version alternative, plus facile à envisager à l'ère du numérique.

 

 

Juste après la sortie originale du film en 2015, il était également question d'une version silencieuse, proposée sur le Blu-ray. Finalement, seule la version Black and Chrome (un nom choisi par le studio, mais qui contente le metteur en scène) fut diffusée, sur une édition à part évidemment. Selon Miller, il s'agirait de la meilleure manière de voir son oeuvre. Si la couleur l'a emporté en salles, grâce notamment au coloriste Eric Whipp, c'est bien entendu parce que le grand public associe le noir et blanc soit aux classiques du septième art, soit au cinéma d'art et essai. Bien que Fury Road soit incontestablement un film d'auteur, il n'en demeure pas moins un produit de studio.

À vrai dire, les deux versions sont très loin d'être antithétiques. Le long-métrage assume une palette quasiment bichrome, pas très éloignée du contraste qui caractérise le noir et blanc, a fortiori celui-ci. Le cinéaste lui-même expliquait son approche à /Film dès 2015. "J'ai remarqué que par défaut, tout le monde désature les films post-apocalyptiques. Il n'y a que deux possibilités : les faire en noir et blanc [...] ou aller à fond dans la couleur. Le truc bleu sarcelle et orange ? On n'a travaillé qu'avec ces couleurs.

 

Mad Max : Fury Road : Photo Abbey LeeDu bleu et blanc au noir et blanc

 

Le désert est orange et le ciel est bleu et nous pouvions soit le désaturer, soit l'augmenter pour démarquer le film. En plus, ça peut devenir fatigant de regarder ces couleurs fades et désaturées, à moins d'y aller à fond et de le faire en noir et blanc." Tourné en plein désert, Fury Road ne comporte grosso modo que deux couleurs. Cherchant à se distinguer des post-apo dépressifs tels que La Route ou Le Livre d'Eli, Miller avait deux options : la couleur éclatante ou le noir et blanc total. En fin de compte, il est parvenu à proposer les deux. Et les deux sont resplendissantes.

 

Mad Max : Fury Road : photo Des ombres dans le soleil

 

Witness it

Outre donc ses conditions de tournage, Mad Max : Fury Road Black and Chrome vient également confirmer les ambitions de Miller, n'ayant jamais caché son amour pour le cinéma muet (d'où le potentiel montage silencieux et le peu de dialogues du film) et le slapstick, lesquels resteront à jamais associés au noir et blanc. Comme dans Le Mécano de la générale, la simplicité de la narration globale – un gigantesque aller-retour – est reflétée par une simplicité visuelle apparente. Apparente, car ce nouvel étalonnage est tout sauf une simple transposition : certaines séquences sont resplendissantes (la tempête), certains plans d'une beauté picturale supérieure à l'original (le cri dans les dunes).

Bien sûr, il faut faire le deuil des couleurs chatoyantes qui ont aussi fait le succès du long-métrage. Tout le monde n'a pas su le faire. Mais une fois la pilule avalée, les intentions du cinéaste apparaissent clairement, comme dans ce plan aérien sur les explosions de fumée, qui rappellent désormais forcément les feux d'artifice Harkonen sur leur planète monochrome, ou les plans de foule du début et de la fin, quasiment des tableaux pas très très loin de l'expressionnisme allemand (d'autant que la citadelle d'Immortan Joe fait écho aux décors gigantesques de Metropolis).

Subtil dans la version couleurs, l'héritage que charrie Fury Road est explicite ici.

 

Mad Max : Fury Road : photo, Charlize Theron Abstrait et magnifique

 

Et puis, il y a le désespoir. Un monde où il ne reste plus que des voitures et du sable, où l'eau est gaspillée par hectolitres au nom d'un populisme dictatorial, où les tyrans sacrifient des dizaines de fidèles au cerveau lavé à blanc pour remettre la main sur une poignée d'esclaves sexuelles, mérite-t-il vraiment la couleur ? Dans la Black and Chrome, chaque nuage de fumée est menaçant, chaque trace de crasse arbore une teinte sombre suspecte. Quant aux maquillages rituels des miliciens de Joe, ils semblent avoir été pensés pour le noir et blanc : certains ont le front d'un noir profond, d'autres sont blancs comme des cadavres.

 

Mad Max : Fury Road : photo, Tom Hardy, Charlize Theron Chargé et magnifique

 

Zone grise

Moins pop, plus expérimental, Mad Max : Fury Road Black and Chrome a d'ailleurs probablement marqué la concurrence. Si les films en noir et blanc colorisés sont nombreux dans l'histoire hollywoodienne, l'inverse était beaucoup plus rare, avant que Miller ne souffle l'idée aux pontes de Warner. Tout juste peut-on citer The Mist, dont l'édition DVD en 2008 embarquait un joli montage monochrome, particulièrement adapté à son esthétique rétro. C'était d'ailleurs celle que le réalisateur Frank Darabont conseillait. En 2013, Bong Joon-ho présentait en festival une version noir et blanc de son Mother.

Parmi ses expérimentations, Steven Soderbergh a fait er Les Aventuriers de l'arche perdue à la moulinette l'année d'après, noyant le classique de Spielberg dans les nappes sonores de morceaux de Trent Reznor et Atticus Ross afin de diriger l'attention sur la mise en scène (le résultat, assez hypnotisant, est visible en ligne). Toujours rayon expérimentations, Park Chan-wook avait fait deux versions de son Lady Vengeance. L'une d'elles, "Fade to black and white version", ait au cours du film de la couleur au noir et blanc.

 

 

Mais Fury Road a inspiré au-delà des singularités esthétiques et des délires formalistes. Après lui, James Mangold, évoquant un processus artistique similaire à celui de Miller, a sauté le pas avec son Logan, surnommé Logan Noir. Le Nightmare Alley de Guillermo del Toro a eu droit à quelques séances dans ce format (cohérent avec les références du film) et Bong Joon-ho a récidivé avec une version noir et blanc de Parasite largement distribuée.

Même Zack Snyder a participé au mouvement à sa manière, avec une "Justice Is Gray Edition" du director's cut de Justice League. Bon courage.

 

 

Parfois bien reçus (Logan), parfois vus comme un moyen de ponctionner de l'argent à des cinéphiles volontaires (Justice League, à peine plus désaturé que la version originale...), ces montages sont toutefois rarement aussi bien accordés à la vision de leurs auteurs. Des auteurs qui n'entreprennent pas leur art comme un descendant du muet monochrome, du moins pas autant que Miller.

Comme il le racontait à /Film : "Je vivais près d'un drive-in sur une colline. Souvent, quand je revenais à la maison, je ne rentrais pas. Je me garais dehors et je regardais les films silencieux. Et puis je suis devenu obsédé par les films muets et j'ai réalisé que la syntaxe basique du cinéma... Kevin Brownlow a dit que le langage du cinéma est défini par les films muets."

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Oneshot
Oneshot
il y a 1 année

@SAlt & Pepa

La techno pour des noir / noir existe c’est l’OLED 😉

SAlt & Pepa
SAlt & Pepa
il y a 1 année

Sur un écran de salle de ciné, les noirs sont plus profonds et du coup les blancs et les gris ressortent encore plus. Je ne crois pas qu’on puisse obtenir des noirs très noirs dûs à l’absence de lumière sur un écran vidéo, ou alors peut-être sur certains haut de gammes. Il me semble que la techno plasma permettait d’avoir de très beaux noirs bien mats mais les technos à base de leds, non. Je me trompe peut-être.

Le N&B enlève le côté roller coster aux couleurs saturées de la version couleur pour ramener le film vers quelque chose de beaucoup plus graphique, précis et dramatique. Il y a aussi un grain dans l’image en N&B.

En tous cas, je préfère cette version.

Oneshot
Oneshot
il y a 1 année

Pour moi aussi la BLACK & CHROME est supérieure.
Comme le dis Eddie Felson, un grand nombre de plan sont plus lisible (je rajouterais notamment la tempête ainsi que la nuit américaine.)
De plus, les plans inspirés de Murnau/Lang/Eisenstein ne sont que plus flagrants.

Angelssen
Angelssen
il y a 1 année

Pas revu depuis un moment mais dans mes souvenirs ca sublime certaines scènes en étant de mon point de vu supérieur pour certains cas, mais inferieur pour d’autre

je crois que la scène de nuit est incroyable en chrome mais je peux me tromper

En gros certaines sont mieux et d’autre non donc au final t as des + et des – pour les 2 versions

Apres la couleur est tellement belle dans le desert que je prefere au final sur la totalité du film !

Big G
Big G
il y a 1 année

Totalement d’accord avec Eddie Felson, le black and chrome est une vraie plus-value. C’est loin d »être un noir et blanc basique, le travail sur les contrastes est impressionnant. La légende « la vision de Miller était un film muet en noir et blanc, les studios l’ont forcé à mettre de la couleur et écrire des dialogues » est certainement fausse, ou du moins très très exagérée, mais ça n’empêche pas qu’un Mad Max en noir et blanc, ça marche parfaitement.

Marc en Rage
Marc en Rage
il y a 1 année

MAD MAX FURY ROAD – BLACK & CHROME Vu et pas fan de cette version . La version originale est flamboyant les plans dans le désert les Tornades juste sublime.

Eddie Felson
Eddie Felson
il y a 1 année

« « Et elle est à peu près aussi sublime que la version originale » »… pour moi elle lui est (largement ?) supérieure ! C’est d’ailleurs la version originelle de son auteur qui dût y renoncer pour satisfaire aux désidératats commerciaux des producteurs et exploitants de salles! Cette version black & chrome fait ressortir des détails moins visibles en couleur comme les tatouages, les yeux blancs (aidés par le maquillage noir barrant les yeux… Après, les goûts et les…couleurs…!