Ecran Large est de retour sur la Croisette pour l’édition 2024 du Festival de Cannes, en partenariat avec Métal Hurlant. Et c’est l’heure de revenir sur Selena Gomez.
Métal Hurlant nous accompagne à Cannes cette année, dans notre exploration des sélections hétéroclites du festival. Au travers de récits de bande dessinée et d’articles sur l’actualité culturelle, Métal Hurlant développe avec éclectisme, dans quatre numéros par an, un imaginaire sans aucune limite. Une ligne éditoriale totalement en accord avec la soif d’expérimentations et de découvertes du Festival de Cannes.
De battre mon coeur s’est arrêté, Dheepan, Les Frères Sisters ou plus récemment Les Olympiades… Jacques Audiard n’est jamais là où on l’attend. En tout cas, clairement pas du côté d’Emilia Perez, qui nous intrigue depuis ses premières annonces. Cette fois, le cinéaste français tourne en langue espagnole une comédie musicale sur fond de cartels mexicains, avec en son centre la question de la transidentité.
On ne connaît pas la chanson
De quoi ça parle ? Rita est une avocate surqualifiée, dégoûtée de gâcher ses talents pour blanchir des criminels pour le compte de son cabinet. Mais un jour, elle se voit offrir l’opportunité d’une vie : aider le chef de cartel Manitas à disparaître de la circulation pour réaliser son rêve, à savoir devenir une femme.
C’est comment ? Il faut bien ettre quelque chose : à Cannes, la presse n’a pas toujours le nez fin. A force d’enchaîner les séances sur la Croisette et les paragraphes sur un traitement de texte, les échelles de valeur en sont forcément impactées. Loin de nous l’envie de cracher sur l’importance des journalistes lors du festival, qui prend à sa manière une température essentielle. Reste que, parfois, il faut savoir se montrer humble, et assumer que quelque chose nous a échappés.
Clairement, c’est le cas d’Emilia Perez, qui semble osciller durant ses deux heures entre les extrêmes du spectre critique, quelque part entre le génie et le nanar. Durant ses premières minutes, où Rita (Zoe Saldana, toujours merveilleuse) se mêle à une foule mexicaine pour écrire – et chanter – un plaidoyer, toute la puissance audacieuse du cinéma de Jacques Audiard (photographie contrastée, presque surexposée par endroits, montage sec et élans lyriques) prend corps dans le contexte d’une comédie musicale.
Une offre qu’elle ne peut pas ref
D’un simple plan, où les chaussures argentées de l’héroïne s’extirpent d’une masse de tongs pour redre quelques rares talons aiguilles, toute la fracture sociale du pays se reflète en un mouvement, un pont que Rita rêve d’enjamber. Cette propulsion, à vrai dire l’opportunité d’une vie, lui apparaît sous la forme de Manitas Del Monte, baron de la drogue qui l’engage pour une mission improbable : lui permettre de changer de sexe, et de simuler sa mort pour pouvoir redémarrer de zéro, en laissant derrière lui femme (Selena Gomez, impressionnante de charisme) et enfants.
Sur le papier, la mayonnaise paraît difficile à émulsifier, mais pendant son premier tiers, Audiard fascine par ce travail de funambule toujours à deux doigts de se casser la gueule. On pourrait arguer que cette matière instable est à-propos pour une œuvre sur la fluidité des genres et de l’identité, et on ne saurait enlever au cinéaste son envie de foncer tête baissée dans l’énergie folle de son concept.
Entre romantisme éperdu, quête de rédemption et colère politique, Emilia Perez rappelle autant certains classiques de la comédie musicale que les succès récents de Lin Manuel-Miranda. Il y a même une pointe de La La Land dans la mixture, où la qualité du chant importe moins que l’émotion des performances, soutenue par la composition de l’artiste Camille et de Clément Ducol. Tout démarre sur des murmures ou des sentiments refoulés, qui explosent vocalement et visuellement pour marteler la vraie valeur du genre : représenter dans toute son exubérance ce que les personnages gardent au fond d’eux.
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Ridicule ou génial ?
Dès lors, le long-métrage ne fait que prolonger les thèmes habituels de l’auteur, en particulier quand on le compare à De battre mon cœur s’est arrêté. Piégé dans un univers criminel familial qui imposait un virilisme déé, Romain Duris ne rêvait que du piano pour exprimer sa fragilité et sa véritable nature. En tuant symboliquement Manitas pour devenir Emilia Perez (le film doit beaucoup à la présence incandescente de l’actrice trans Karla Sofía Gascón), l’ancienne cheffe de cartel rejette aussi la violence d’un milieu qui a toujours imposé sa loi du talion.
Malheureusement, c’est aussi là que le bât blesse. A force, on a pris l’habitude de voir Audiard mêler le naturalisme d’une mise en scène aux élans documentaires aux carcans du film de genre. Mais c’est oublier son goût très prononcé pour le mélodrame, pour les dialogues très (trop ?) écrits et surtout pour une stylisation de son découpage plus prégnante qu’elle n’en a l’air.
Certes, Emilia Perez assume totalement l’artificialité de son écriture et son romanesque ampoulé, quitte à étonner par la confondante naïveté de son rapport à la transformation. Bien sûr, il convient de souligner l’importance du déterminisme social dans le parcours inaugural de Manitas, et la difficulté poignante qu’Emilia a eue pour s’en extraire. Pour autant, un simple tract et une question sentencieuse suffiront pour que l’ex-baronne de la drogue lance une association à la recherche des personnes disparues au Mexique à cause du narco-trafic.
Audiard ne cherche pas l’absolution de son personnage, mais l’ultraviolence dont elle a été l’instigatrice pendant des années est malgré tout balayée d’un revers de main, à grands coups de répliques lunaires comme “Combien y a-t-il de disparus dans ce pays ?”. Difficile de ne pas pouffer de rire face à tant d’inconscience et de portes ouvertes enfoncées, alors que le film reste l’air de rien dans le confort bourgeois de sa tour d’ivoire (assez littérale, puisque la villa d’Emilia se trouve sur les hauteurs de Mexico).
Le cinéaste compense comme il peut en faisant ressurgir ce é de crime. Tragiquement, le naturel tant fui par Emilia revient au galop, au prix d’une dernière partie aux accents de thriller grotesque et précipité. Pour sûr, le kitsch du long-métrage est une composante essentielle de son identité, mais à quel point ce trop-plein, en l’état constitutif de son essence, finit par se retourner contre lui ? Un peu comme pour Megalopolis (autre OVNI qu’il est difficile d’appréhender entre deux projections et dix shots de café), Emilia Perez demande un lâcher-prise inhabituel. C’est toute la force de sa proposition, qu’on pourra juger courageuse ou suicidaire. On est juste sûr d’une chose : on n’est pas près d’oublier cette séance.
Et ça sort quand ? En , le film sortira le 28 août au cinéma.
Je n’achèterai plus Métal Hurlant.
Bordel que je suis intrigué par ce film
Ah voilà après le non-binaire, le non-genré, le transsexuel doit s’imposer à la société sexuelle comme majorité factuelle ! J’aurai bien aimer connaitre l’avis du père Audiard ! Y en a marre de cette minorité ! Pour ettre bientôt le coming out de Jean-Michel ? ça suffit !
S’il y a bien un réal qui est parti en cacahuète avec la « libération des mœurs LGBT », c’est bien Audiard. Imaginez la rigolade si le Prophète changeait de sexe en taule puis dealait du sextoy à la sortie. Du n’imp, du bizarre, du hors sujet depuis une decennie qui viennent trop souvent gâcher pour moi de beaux projets
Un film sur la « transidentité » ? Allez hop, c’est bon, on peut arrêter le festival, on a deja la palme d’or.
les propositions de audiard oscillent entre le mauvais et très mauvais.
Un prophète est tellement mauvais mais toujours pareil les critiques voient du génie c’est à mourir de rire.
Bref à éviter comme la majorité des perfusés du cnc.
Intrigant en effet ! Et savoir Camille et Clément Ducol à l’œuvre pour les parties musicales provoque un petit regain d’intérêt pour le travail d’Audiard, qui m’a toujours maintenu dans une froide distance (j’ai lâché l’affaire après De rouille et d’os). A suivre…
D’accord avec Léa. Cette tendance commence pour moi avec Les Frères Sisters, qui, au final, tournait un peu à vide malgré les immenses prestas (Audiard reste un grand directeur d’acteurs)
Un petit retour vers le polar ou le réalisme poétique façon De Rouille et d’Os pourrait ranimer le génie du meilleur réal français des années 2000
… un peu vaine.
(Je n’avais pas terminé mon com 🙂
Avec Les Olympiades, le cinéma d’Audiard a chopé un côté « poseur » qui l’a vidé de toute sa puissance ( De battre… et Un Prophète continuent de me clouer au canapé à chaque vision)
J’espérais plus de viscéralité avec celui-ci mais votre critique me fait craindre une recherche d’originalité