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Hitcher : le film d’horreur pervers caché derrière la légendaire course-poursuite

Par Axelle Vacher
9 mai 2024
MAJ : 7 mai 2025
Hitcher : dossier

En près de quarante après le flop de sa sortie, Robert Harmon propose un jeu du chat et de la souris entre un antagoniste sans motivations particulières, et un héros poussé dans ses retranchements les plus intimes.

Hitcher : photo, Rutger Hauer Morale du film : maman a toujours raison

boulevard de la mort

C'est en écoutant le "Riders on the storm" des Doors que les prémisses du récit sont venues à Red. Sa vingt-troisième bougie soufflée depuis peu, l'apprenti scénariste quitte le paysage urbain de son Manhattan natal pour le Texas. Le périple s'étire, le vide succède aux immeubles tandis que la ligne d'horizon s'éloigne un peu plus au fil des kilomètres. Red exorcise alors son angoisse à grands coups de gribouillages et accouche en quelques mois d'un premier jet nerveux qu'il envoie à droite et à gauche dans la foulée. Le consensus ne tarde pas. Jugé trop gore, trop violent, trop pernicieux, le récit suscite la nervosité des financiers hollywoodiens. Plutôt que de se laisser décourager, Red rature et édulcore, manipule les grandes lignes en vue de les rendre plus aimables certes, mais surtout plus commerciales. Là, le projet e entre les mains de multiples studios tels que Warner Bros, Universal Pictures ou encore 20th Century Fox, qui s'y rattache brièvement. Mais la encore, la chose suscite la frilosité et chacun se la refourgue à la hâte comme une patate chaude jusqu'à finalement piquer l'intérêt de Maurice Singer, vice-président d'HBO et saint patron de l'audace malgré lui. Il enclenche la machine. The Hitcher est fin prêt à sévir.

Hitcher : photo, Jennifer Jason LeighIl était aussi question d'un globe oculaire caché dans un hamburger

La poignée de prix remportés au Festival du film policier de Cognac ne suffira pas à garantir la réussite du film. À domicile, le titre peine à remplir les caisses (il n'engrange que 5,8 millions de dollars pour un budget estimé à 6 millions) et se fait simultanément assassiner dans les règles par la critique de l'époque. Le célèbre Roger Ebert s'est ainsi montré particulièrement virulent dans sa rubrique attitrée du Chicago-Sun Times, qualifiant le produit fini de « malade et corrompu ». Malgré sa dépréciation évidente du film, le journaliste en soulève paradoxalement tout le sel, évoquant notamment le caractère singulier que suscite le « lien dépeint entre Howell et Rutger ». L'atypie est telle qu'il avoue, en conclusion de sa réprimande, regretter que le récit ait « manqué de courage » et ne soit pas allé plus loin dans son exploration de « la relation malsaine entre le jeune protagoniste et son aîné meurtrier ». Difficile pourtant d'imaginer plus radical comme portrait que celui établit par Red et Harmon.

Hitcher : photo, C. Thomas Howell, Rutger Hauer "Tu veux la jouer métaphore douteuse ou allusion à peine voilée ?" 

let me be perfectly queer

Généralement décrit comme un thriller horrifique, The Hitcher se situe plutôt dans la lignée de propositions homoérotico-SM telles que Tom à la ferme, Cruising, Apartment Zero, The Lighthouse, la série Hannibal, et consorts.  Le sous-genre est assez niche, on en conviendra, mais pas moins impactant au sein du paysage audiovisuel. Lorsqu'en 1991, Linda Williams théorise la notion de "body genres" (soit, l'exploitation par le cinéma d'un mimétisme entre figuration d'un corps soumis à d'extrêmes sensations et celui du spectateur), elle y rattache promptement le mélodrame, la pornographie, et l'horreur.

Hitcher : photo, Rutger Hauer, C. Thomas Howell Quand tu ne discutes pas clairement de ton safe word 

À l'instar du torture porn (dont le film de Harmon réemploie une poignée de codes), le thriller se trouve plus souvent que non à la croisée des trois genres désignés par Williams. Il y a effectivement quelque chose de résolument sensuel à la mise en scène de pauvres choux pris en grippe par un·e antagoniste gentiment dérangé·e  c'est que les obsessions d'un tiers sur un autre ne sont que rarement purement platoniques. Contrairement aux titres mentionnés plus haut, The Hitcher ne prétend nullement jouer les dealers de noblesse : il n'est ni métaphore, ni critique sociale, ni même expérience surréaliste. Le rapport de force dépeint est total, subordonné aux desiderata d'un scénario ne rechignant jamais à jouir de sa propre déviance. Toute notion de carcan moral relégué aux oubliettes, le vice est employé comme un prisme jusqu'au-boutiste enclin à tourner à son avantage les retors du contexte socio-politique en vigueur.

Hitcher : photo, C. Thomas Howell Cette pédale est une menace (c'est un double jeu de mots, appréciera qui pourra)

Alors que le régime ultra conservateur de Ronald Raegan veille méticuleusement à diviser les foules, les ravages causés par l'épidémie du sida tout au long des années 80 achèvera de stigmatiser pour de bons les communautés queer aux yeux des familles nucléaires bien rangées. De cette "gay panic" surgit alors tout un champ des possibles pour le cinéma d'horreur et de suspens, qui use allègrement de cette paranoïa de masse pour mieux saupoudrer ses intrigues de sous-textes homoérotiques. Comme le décrit l'autrice Mia Lindenburg dans son essai How to Make a Monster: The Homosexual Experience in Horror and Thriller Cinema, « il n'est pas rare de retrouver des portraits d'hommes homosexuels dans lesquels ceux-ci sont plus âgés, dominateurs, et dérangés [...]. Une tendance que l'épidémie du sida a amplifiée à l'extrême. »
Hitcher : photo "These gays ! They'll kill me !"

queurelles

Sans autre motivation apparente que celle d'assouvir d'insatiables pulsions sadiques, le personnage de Rutger Hauer jette donc son dévolu sur notre héros, avant de er le plus clair des 97 minutes suivantes à lui infliger divers tourments au corps et à l'âme. Inutile de se voiler la face, le film est plutôt équivoque ; que ce soit dans le traitement de son fuis-moi je-te-suis infernal, sa pléthore de symboles phalliques (généralement mis en scène en pleine face ou dans le prolongement d'un entrejambe), ou encore ses multiples échanges de fluides (sang ou crachat, il y en a pour tous les goûts), The Hitcher n'est pas exactement un modèle de finauderie. Et pour ceux qui n'auraient pas appris à lire entre les lignes, la scène où l'antagoniste ret son souffre-douleur dans un diner deserté achèvera sans doute de convaincre les plus réticents. {videoId=1510105;width=560;height=315;autoplay=0} Ne tournons pas cent-sept ans autour du pot ; toutes les cases de l'implicitement incorrect semblent avoir été soigneusement cochées lors de l'élaboration de ce tête à tête romantique. Répliques moins ambigües que la sexualité d'Elton John (« I'll blow your brains through your ass / Je vais t'en loger une via le trou de balle » et consoeurs), éjaculation à blanc d'un certain calibre, et bien sûr, pièces de monnaie collées à la salive sur les paupières du plus jeune (un rituel mortuaire issu de la Grèce antique, et accessoirement métaphore de ce qu'on appellera poliment "une petite mort")... grands dieux, que quelqu'un apporte des chandelles ou du lubrifiant. On en conviendra aisément, la réciprocité de la relation interroge : après tout, un des partis concernés n'a pas vraiment l'air très consentant (dans son mediabook consacré au film, Olivier Père évoque même « une perte douloureuse de virginité, née d'un long viol au cours duquel l'intégrité physique et mentale du jeune homme est sauvagement bousculée par son agresseur »). Mais un tel raccourci reviendrait à faire fi d'un certain nombre d'éléments, à commencer par le dispositif cinématographique de Robert Harmon.

Hitcher : photo, C. Thomas Howell"Young, dumb, and full of ?"

De par ses anciens crédits de photographe pour Playboy, Harmon a surtout gardé un oeil prompt à érotiser les corps. Hauer et Howell – dont les interprétations éclairées méritent elles aussi un prix de double lecture – traversent ainsi le récit maculés de sueur et de poussière, ce que le directeur de la photographie John Seale (Le Cercle des poètes disparus, Le talentueux Mr. Ripley, autres grands titres au panthéon de l'hétérosexualité) ne manque pas de mettre en exergue à la moindre occasion. Enfin, il s'agit également de prendre en considération les vingt dernières minutes du film, à l'occasion desquelles le cadet prend davantage les choses en mains. Bye bye l'agneau chevrotant dès qu'il voit le loup débarquer ; c'est désormais armé d'un jouet sensiblement plus gros que le bougre s'en va réclamer son salaire de la peur. Et puisque tout bon rapport musclé nécessite le minimum syndical d'aftercare (ou "soin après séance" pour nos francophones endurcis), voilà que Halsey caresse tendrement les boucles blondes de son aîné du bout de son arme après en avoir terminé avec lui. Adorable.

Hitcher : photo, Rutger Hauer De l'art de er les rênes

À n’en pas douter, l’échec critique et commercial qu'a souffert film est à principalement attribuer à la bâtardise de son genre, et à la confusion subséquente du public. Et puis finalement, la nature n'étant pas trop mal faite, The Hitcher a graduellement gagné en popularité au fil des ans, jusqu'à obtenir le statut de titre culte. C'est ainsi que le 12 avril 2024, une réédition 4K du film (agrémentée d'un livre bonus d'une soixantaine de pages) a été proposée aux rayons des commerces de s physiques. Une trajectoire similaire à celle du susmentionné Cruising de Friedkin, qui avait notamment profité d'une projection spéciale à la 60e édition du Festival de Cannes en 2007, puis, plus récemment, d'une restauration au format Blu-ray. Alors comme quoi, le BDSM gay des années 80...

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Patgarret06
Patgarret06
il y a 1 année

J’ai adorer !

Eomerkor
Eomerkor
il y a 1 année

Rutger Hauer montre dans Hitcher qu’un pouce levé peut être le signe de votre prochaine mort. A méditer quand on est un youtubeur et qu’on réclame des pouces bleues alors qu’on ne le mérite pas.
Excellent souvenir de ce film. Ca aurait pu être une série B mais c’est devenu un film culte. En personnage énigmatique puis psychopathe, Rutger Hauer montre qu’il est un acteur d’exception à l’aise avec les petites productions « dérangeantes » de Verhoeven et le monde hollywoodien. C’est peut-être aussi l’apogée pour C. Thomas Howell qui vait bien débuté avec E.T et Outsiders. Sa carrière n’a pas décolé après mais il est tout à fait convaincant. Quand à Jenifer Jason Lee qui avait déjà joué avec Rutger dans la Chair et le Sang, j’ai toujours beaucoup de plaisir à la revoir. Pour le reste la photo, la mise en scène, la tension croissante et un petit côté malsain font de Hitcher une grande réussite (ce qui l’a destiné a avoir droit à son remake sans intérêt).

Rh
Rh
il y a 1 année

Ce film. J’avais eu la chance de le voir à l’Étrange Festival suivi d’une masterclass de Rugter Hauer. Un beau souvenir (avec Drive et Take Shelter, c’était un joli tiercé).

Relisez vous
Relisez vous
il y a 1 année

Faut penser à vous relire, bisous

Birdy l'inquisiteur
Birdy l'inquisiteur
il y a 1 année

Merci Sanchez. Que ceux qui n’ont jamais pu gouter à ce film et savourer les joies de l’Enfer croupissent au Paradis. Ils ne savent pas ce qu’ils ratent.

Sanchez
Sanchez
il y a 1 année

@Birdy
Joli texte qui fait plaisir à lire

Birdy l'inquisiteur
Birdy l'inquisiteur
il y a 1 année

Je cherchais un film à me mettre sous la dent, et il était planqué au milieu des mes centaines de dvd, conseillé par un pote un jour, mais jamais lancé. Je tourne en rond devant les jaquettes, au point de perdre envie de mater un film. Et puis allez savoir pourquoi, je le choisis. Enfin. Ou peut être m’a t’il choisi, attendant son heure, ma fatigue, et une attirance coupable vers l’inconnu. Je le prends en stop.
Après 10 minutes, ma vie de cinéphile ne sera plus la même. j’ai sous les yeux l’exemple le plus brutal et évident d’une introduction parfaite, qui me fait perdre mes repères narratifs, et me laisse pantois devant le cynisme absolu d’un acteur déjà adoré pour (comme vous tous) Blade Runner.
Le film enchaine son nihilisme le plus sordide, n’hésite jamais à couper quand on voudrait voir, et à nous montrer quand on voudrait tourner la tête et ne plus penser à cette chevauchée avec le diable.
Depuis, il a retrouvé la poussière de son étagère, bien caché, espérant retomber dans l’oubli, refermant cette porte obscure qui m’appelle quand la fatigue l’emporte à nouveau. Il est de ces films uniques, frère de sang d’Alien, Massacre à la Tronçonneuse, The Thing, l’Exorciste, The Hauting, ou Psychose. Son poison n’a jamais vraiment disparu de mes veines, et parfois, cette porte qu’on voudrait garder fermée à jamais s’entrouvre et laisse er son murmure : res moi, tu aimes ça…

Sanchez
Sanchez
il y a 1 année

Un chef d’œuvre , un des meilleurs films des années 80 totalement sous estimé. La scène de la garde à vue pompé dans thé Dark knight. Rutger Hauer au sommet de son art pour un des meilleurs psychopathe du cinéma. Mais aussi la cinegenie de C Thomas Howell, et un scénario sans concession (avec une motivation du tueur inédite m , il veut mourir) , et surtout la photo absolument incroyable de John Seal , c’est un œuvre d’art de la première à la dernière image.

De Vengeance Aveugle à Gangsterdam
De Vengeance Aveugle à Gangsterdam
il y a 1 année

Je veux bien un article sur Vengeance Aveugle avec Rutger Hauer en as du sabre aveugle..
Une belle collection de rappel de films collector à mener
Avec Rutger également « le sang des héros ». Ce mec était un immense acteur, dire que son dernier film est une pauvre apparition dans une comédie nanardesque française Gangsterdam..

Kyle Reese
Kyle Reese
il y a 1 année

Je plussois, Hitcher grand moment de ciné et de tension pour cette série b implacable, traumatisante pour l’ados que j’étais à l’époque et avec toujours ce fond de mystère concernant ce tueur énigmatique. Une histoire simple mais pas un film simpliste. Le meilleurs rôle de Hauer avec celui de Roy Batty dans Blade Runner évidement.